Festival Premiers Plans | Entretien avec Camille Authouart

Dévoilé en première mondiale au Festival de Rotterdam, La Grande Arche est réalisé par la Française Camille Authouart. Ce court métrage d’animation est une évocation sensible et poétique du quartier de la Défense, de ses gigantesques monuments lancés dans le ciel aux ombres anonymes à leurs pieds. La cinéaste nous en dit davantage sur ce film traversé par une belle mélancolie, présélectionné aux César et programmé cette semaine au Festival Premiers Plans d’Angers.


Quel a été le point de départ de La Grande Arche ?

À l’origine de ce projet, il y a un déménagement, de la mélancolie et puis un carnet de croquis. En 2016, suite à un infarctus, ma grand-mère perd la capacité de vivre seule et nous vidons l’appartement dont elle était locataire depuis 1959, au 4ème étage de l’une des plus vieilles tours de La Défense. Le papier peint gaufré est imprégné des souvenirs lointains de mon enfance mais aussi de ceux plus récents de ma première année d’études à Paris. Cette année-là, tous les matins, je traversais à pied l’esplanade de La Défense pour prendre le métro Place des Reflets. Lorsque, à la même période, j’ai découvert le film Playtime, j’ai été impressionnée par la justesse avec laquelle Jacques Tati avait traduit la poésie kafkaïenne de ce quartier.

Au début de l’été 2017, poussée par une certaine mélancolie, je suis retournée à La Défense avec mon carnet de croquis. Pendant plus d’un mois, j’ai rempli quotidiennement les pages de notes et de dessins. Un jour, j’ai arrêté de venir et j’ai posé le carnet sur une étagère. La mélancolie s’en était allée, j’étais apaisée. Six mois plus tard, en feuilletant les pages du carnet, j’ai remarqué que certains personnages émergeaient des pages, comme l’Araignée Rouge monumentale de Calder ou ce sans abri qui dormait au creux de la Grande Arche. Qu’avaient-ils en commun ? Ils semblaient tous deux invisibles aux yeux des passants… J’ai réalisé que presque indépendamment de ma volonté, une histoire existait en filigrane derrière mes dessins. C’est à ce moment que j’ai commencé l’écriture du scénario de La Grande Arche.



Comment avez-vous abordé le travail sur les échelles dans votre film, qui parle à la fois d’architecture et de l’intime, du monumental et de l’invisible ?

Il est vrai que ces contrastes d’échelles sont au cœur du projet. En confrontant ces gigantesques gratte-ciel avec la fragilité d’un sans abri, j’invite le spectateur à une contemplation poétique et à une réflexion sur l’urbanisme et la société. L’architecture de la Défense m’a souvent évoqué les grands paysages de l’ouest américain. Ainsi, pour mettre en avant le gigantisme du lieu, j’ai choisi de m’inspirer des codes du western : plans larges, lent travellings, format d’image allongé…

Par ailleurs, à la manière des films documentaires du réalisateur et ethnologue Jean Rouch, j’ai souhaité que la mise en scène présente le quartier de La Défense comme un nouveau monde à découvrir. Ainsi la caméra est tantôt extérieure à la scène et se positionne comme observatrice lointaine, tantôt plus proche : s’arrêtant pour mettre l’accent sur un détail, une aspérité, éraflant ainsi les aprioris et les idées reçues. Tout est une question de regard, et c’est cette idée sur laquelle je me suis appuyée afin de mettre en lumière la poésie que j’ai trouvée au cœur de ce quartier impopulaire de Paris. Les gratte ciels, ces nouvelles cathédrales de verre et d’acier aux reflets infinis, ont à la fois quelque chose de tragique et de merveilleux. Incarnation d’une maîtrise totale de l’homme sur la technique, elles sont devenues le symbole d’un monde matérialiste où l’homme, dépossédé de sa capacité à ressentir la terre et le temps, est entré dans une course folle qui le pousse à tout prix à s’élever le plus haut possible vers le ciel.

Afin de revenir à l’intime, le film se conclue avec l’extrait d’une note rédigée en 1983, par Joann Otto von Spreckelsen, architecte de La Grande Arche : « C’est un arc de triomphe moderne, à la gloire du triomphe de l’humanité. C’est un symbole d’espoir : dans le futur les gens pourront se rencontrer librement, ici sous l’Arc de triomphe de l’homme« . C’est non sans un certain cynisme, que mon film porte le nom de ce monument, soulignant ainsi la prouesse architecturale de son créateur, autant que l’échec idéologique de notre société contemporaine.



L’utilisation du son est remarquable dans La Grande Arche, pouvez-vous nous en dire davantage sur cet aspect ?

Dans les annotations de mon carnet de croquis, j’ai beaucoup écrit sur l’ambiance sonore si particulière du quartier de La Défense. Ainsi, lorsque nous avons commencé à travailler avec Mathieu Tiger, l’ingénieur du son de ce film, je lui ai demandé de se rendre sur place pour enregistrer différentes ambiances et de travailler à partir de cette base documentaire. Mathieu m’a fait découvrir la prise de son binaural, idéale pour créer une expérience sonore immersive et rendre compte de l’immensité du lieu. Mais si la majeur partie de la bande son a été créée à partir de sons enregistrés in situ, nous nous sommes permis quelques écarts afin de rendre quelques scènes plus cinématographiques. Ainsi, pour la séquence dans laquelle la caméra survole les gratte ciel, nous avons choisi de mettre en avant le son d’un vent de haute montagne, qui vient amplifier le sentiment de vide et d’immensité.

En ce qui concerne la musique du film, je suis depuis longtemps une grande admiratrice du travail de Bachar Mar-Khalifé, dont la musique est à la fois teintée de tendresse et de mélancolie mais dont la puissance rythmique donne aussi une furieuse envie de bouger, une rage de vivre. Ce mélange d’émotions me semblait coller parfaitement avec le propos de mon film. J’étais tellement convaincue que j’ai développé l’animatique (le story-board animé) directement sur certaines de ses compositions, avant même de le contacter et en espérant très fort qu’il accepterait de travailler sur le film… Heureusement, il a dit oui ! Je suis vraiment fière de cette partie du projet, car il me semble que le travail de Mathieu et les compositions de Bachar confèrent à mes images une dimension poétique au plus proche de ce que je voulais transmettre au spectateur.



Pouvez-vous nous parler du choix de Flora Fischbach pour la voix de votre film ?

Comme avec Bachar Mar-Khalifé, je suis une grande fan de la chanteuse Fischbach. Mais c’est surtout pour sa voix de comédienne que j’ai contacté Flora, après l’avoir découverte dans la série Vernon Subutex, créée par Cathy Verney et adaptée de la trilogie de Virginie Despentes. J’ai écrit le texte en pensant déjà au timbre de sa voix : une voix grave, à la fois mélancolique, puissante et contemporaine. Dans un premier temps j’avais fait une voix maquette avec ma voix, mais au-delà du fait que je ne suis pas comédienne et que c’était moyennement juste, le timbre de ma voix paraissait trop « fragile » et alourdissait le texte. Je trouve à l’inverse que la voix de Flora enveloppe le spectateur et l’emmène avec elle, le plus naturellement possible, sans surjouer le sensible.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment, en regardant un film, de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Devant le film Flee, de Jonas Poher Rasmussen. Il s’inscrit, après Persepolis de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi, dans la lignée de ces films qui, à mon sens, révèlent toute la puissance narratrice du documentaire animé. Je crois qu’il y a des histoires, des émotions qui se peuvent se raconter qu’à travers le filtre du dessin. Flee en est un magnifique exemple et fait partie de ces films qui me donnent furieusement envie de continuer à faire du cinéma d’animation.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 20 janvier 2023. Un grand merci à Luce Grosjean.

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