Festival de Clermont-Ferrand | Entretien avec Barbara Rupik

Such Miracles Do Happen de la Polonaise Barbara Rupik figurait dans notre récent dossier consacré aux meilleurs courts métrages du Festival Premiers Plans d’Angers. Ce film d’animation, qui est présenté cette semaine au Festival de Clermont-Ferrand, raconte le monde à la fois enfantin et inquiétant d’une fillette au corps sans os. Utilisant une singulière technique d’animation, Such Miracles Do Happen est une expérience unique et envoûtante qui révèle une personnalité à suivre de près. Barbara Rupik est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Such Miracles Do Happen ?

C’est venu d’une sorte de nostalgie des mondes qui disparaissent, de l’enfance et de la façon dont les enfants voient le monde, d’une sensibilité enfantine. Cela vient aussi de ma fascination pour le réalisme magique, le flou de la frontière entre deux mondes – le matériel et le spirituel. J’ai vaguement basé l’intrigue sur mes propres souvenirs. Quand j’étais enfant, à un moment donné, j’ai décidé de ne pas vivre dans ma chambre mais avec ma grand-mère bien-aimée dans le grenier, et c’était un endroit très bizarre, un peu étrange (mais aussi confortable) avec une seule petite fenêtre de la taille d’une tête humaine. Il y avait aussi beaucoup de choses intéressantes que ma grand-mère avait collectionnées. Chaque petit détail est gravé dans ma mémoire.

Malheureusement, le grenier sous sa forme magique n’existe plus, mais j’ai réussi à récupérer certains matériaux et objets et à les utiliser pour construire des parties du plateau de tournage. Par exemple, un tapis rouge foncé qui était toujours jonché d’écailles provenant des graines qui servaient de nourriture aux deux perroquets qui vivaient avec nous. Les mites des vêtements volaient et leurs larves rampaient dans les coins, s’enveloppant lentement dans leurs doux cocons de soie. Il y avait aussi un immense autel fait maison avec beaucoup de figurines de tous les saints et d’anges lumineux. À mes yeux, ils semblaient très puissants, ils avaient une charge inhabituelle enfermée dans des corps en plâtre et en porcelaine. J’aimais imaginer des histoires avec ces figurines, et me demander à quoi elles pouvaient bien penser.



Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre technique d’animation, avec ces figurines en volume qui donnent l’impression qu’elles sont sur le point… de fondre ?

Ma technique d’animation combine argile et marionnette, avec une animation à la peinture à l’huile. C’est le meilleur moyen de créer des mondes très picturaux et organiques. C’est très humide et gluant, car la plupart des personnages et des objets, image par image, sont recouverts d’huile. Dans Such Miracles Do Happen, il était également important de différencier les personnages vivants et organiques des personnages immobiles. J’aime tellement mélanger les textures, et lorsque j’utilise cette méthode d’animation, il n’y a pas de limite aux matériaux mixtes. Il y a la possibilité de faire d’autres expériences intéressantes. Dans mon prochain film, je vais explorer et développer cela davantage.



Comment avez-vous trouvé une harmonie entre les aspects enfantins et inquiétants du film, entre la décadence et la beauté ?

La frontière entre la décrépitude et la beauté est presque transparente pour moi. J’aime juxtaposer les contraires, tant dans la narration que dans les visuels, et rechercher l’harmonie entre eux. Des matières, des émotions et des thèmes contrastés. Dans Such Miracles Do Happen, j’ai voulu créer quelque chose comme un rêve éveillé. J’ai des rêves dans ma mémoire, et je ne sais pas s’il s’agit réellement de rêves ou d’événements réels. C’est un sentiment très étrange, quelque chose de suspendu au milieu de deux mondes, et je voulais refléter cela dans mon film.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Il serait plus facile pour moi d’énumérer des exemples de mes films préférés. La liste est longue, mais il y aurait certainement plusieurs films de Peter Greenaway, Béla Tarr, Alejandro Jodorowsky, David Lynch, Andrzej Żuławski, Jan Švankmajer. Oh, et Book of Days de Meredith Monk ! Je n’ai qu’à mentionner ce titre.



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?

Ces derniers temps, je rattrape surtout mon retard sur les classiques. Mais je me souviens de ce que j’ai ressenti quand j’ai regardé Sleep Has Her House de Scott Barley – c’était une expérience mystique que j’ai rarement eue au cinéma. C’était vraiment quelque chose de nouveau pour moi, très inspirant.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 8 février 2024.

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