Entretien avec Alexis Langlois

Alexis Langlois a signé avec Les Démons de Dorothy l’un des courts métrages les plus fun, généreux et jubilatoires du dernier Festival de Locarno. Cette histoire de réalisatrice au bord de la crise de nerfs est un manifeste queer révolutionnaire et offre à Lio un rôle incroyable. Les Démons de Dorothy est désormais visible sur Mubi. Alexis Langlois est notre invité.


Quel a été le point de départ des Démons de Dorothy ?

Le point de départ du film remonte à la fin de tournage de mon précédent film, De la terreur mes sœurs. Les actrices, les producteurs et moi-même avons alors été confronté.e.s au monde du financement. Pour ma part, c’était la toute première fois que je me confrontais à un mode de financement classique, j’ai donc découvert le fonctionnement des commissions d’aide. Jusqu’alors, je voyais les commissions comme des endroits assez neutres où les gens jugeaient les œuvres de façon impartiale.

On s’est vite rendu compte que c’était avant tout le goût de ces gens-là qui dictait tout, et que ça ne laisse pas de place à certaines histoires ou certains points de vue. J’ai été déçu de découvrir cela, et j’ai été choqué de recevoir en retour des remarques assez transphobes. Le reste du film vient d’angoisses toutes personnelles, mais même sur ce point je ne voulais pas du tout faire un film réaliste.

Selon vous, qu’est-ce que cette dimension puissamment fantaisiste peut justement apporter de plus que le simple réalisme?

Ça me permet d’aller beaucoup plus loin dans ce que je veux raconter. C’est à la fois une manière de mettre une distance avec des choses tout de même très intimes, et une manière d’aller vers un sentiment plus pur. La mise en scène du film est plus sensorielle que théorique, et cela fait également passer des choses. Le rire et la fantaisie ont toujours pu faire passer des choses sans que cela devienne didactique. C’est une manière de raconter plus frontale, plus directe.

Il y a des clins d’œil à Lolo Ferrari dans votre film, est-ce une figure qui vous fascine/vous émeut ?

Oui, je l’aime beaucoup depuis que je suis tout petit, sans trop savoir pourquoi. Il y a bien sûr son physique étonnant, mais ce n’est pas tout. C’était quelqu’un que tout le monde trouvait ridicule et considérait comme un personnage de foire. Moi au contraire je m’identifiais beaucoup à elle, je ne sais pas d’où ça vient. Je la voyais déjà comme quelqu’un de fragile car elle l’était, elle le disait elle-même en interviews, mais aussi quelqu’un de très fort, car elle a affirmé sa différence envers et contre tout. Et puis bien sûr, c’est également une figure tragique : il y a sa mort affreuse et son mari étrange…

Comment Lio est-elle arrivée sur ce projet, qu’est-ce qui vous a fait envie chez elle ?

Lio c’est une histoire simple et longue à la fois. On s’est rencontrés au Fifib, le festival du film de Bordeaux. On était tous les deux jurés, mais dans des jurys différents, ce qui nous amenait à nous croiser souvent. Elle ne connaissait pas du tout ce que je faisais, je lui ai raconté mes films, je lui ai même pitché mon futur long métrage. Ça lui a plu, et à la fin du festival on s’est quittés en se disant qu’il fallait qu’on essaie de faire quelque chose ensemble. Une fois que j’ai fini d’écrire Les Démons de Dorothy, je me suis demandé si j’allais oser lui demander de jouer ce rôle très burlesque, et au final ça l’a beaucoup amusée.

Et puis il se trouve que le titre de l’un de mes précédents films, À ton âge le chagrin c’est vite passé, fait directement référence à Les Années 80, le documentaire que Chantal Akerman a réalisé à propos de son film Golden Eighties, et dans lequel jouait déjà Lio.

Si vous aviez carte blanche totale et un budget illimité pour monter un de vos prochains projets, quel serait votre film de rêve ?

Une comédie musicale. Mon prochain film sera d’ailleurs une comédie musicale, mon rêve serait donc d’avoir les moyens de mettre en scène les numéros que j’ai en tête, et qui me viennent des films que j’adore. Je citerais notamment en référence des films hollywoodiens des années 30, 40 ou 50, et qui ne sont d’ailleurs pas forcément tous des pures comédies musicales. Je pense par exemple à Pique-nique en pyjama de Stanley Donen, que j’aime beaucoup, ou bien encore La blonde et moi de Frank Tashlin.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je pense qu’il y a en a plein, et dans des styles assez différents. Le premier qui me vient à l’esprit c’est Werner Schroeter, puisque j’ai fait mon mémoire sur l’actrice Magdalena Montezuma et sur la manière dont ils ont travaillé ensemble. Je dirais également Chantal Akerman, pour Les Années 80 et d’autres films comme Portrait d’une paresseuse, dont on voit d’ailleurs une photo dans le film. Ce n’est pas nécessairement mon genre de cinéma à la base, mais j’ai un rapport très affectif à son œuvre, car c’est la cinéaste préférée de ma sœur qui joue Dorothy dans le film. Elle est vraiment fan.

J’aime aussi beaucoup les cinéastes qui travaillent la comédie presque comme du cartoon. C’est le cas de Frank Tashlin, Blake Edwards, et bien sûr John Waters, que je me dois de citer. Je rajouterai à cette liste Sam Raimi. J’ai redécouvert son cinéma ces dernières années et je le considère comme un réalisateur très important.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

J’ai passé pas mal de temps en post-prod, et de façon générale je revois encore et toujours les mêmes films, mais j’ai vu deux films que j’ai adorés à Locarno. Tout d’abord le clip de Yann Gonzalez, Fou de Bassan. Ça m’évoque des œuvres que j’aime beaucoup, tels Flocons d’or de Werner Schroeter ou La Cité des femmes de Fellini. J’aime les œuvres qui citent d’autres œuvres, j’ai alors l’impression d’avoir un langage commun avec elles, ça me plait. L’autre film c’est First Time de Nicolaas Schmidt, un long plan-séquence dans le métro. J’ai adoré.

Ce n’est pas récent mais j’ai envie de parler d’une ancienne actrice que j’ai découverte, c’est Judy Holliday, qui jouait dans les films de Minnelli, Cukor, dans Comment l’esprit vient aux femmes, Un numéro du tonnerre… Quand je l’ai découverte il y a cinq ans, je me suis dit qu’elle jouait de façon très étonnante et nouvelle.

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 12 août 2021.

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