Festival de Rotterdam | Critique : Veni Vidi Vici

Viktoria et Amon Maynard mènent une existence parfaite entourés de leurs enfants. Le couple est à la tête d’une fortune sans limite. Le monde leur appartient, rien ne peut donc les mettre en danger.

Veni Vidi Vici
Autriche, 2024
De Daniel Hoesl & Julia Niemann

Durée : 1h26

Sortie : –

Note :

MONSTRES ACADEMY

C’est à Rotterdam que l’Autrichien Daniel Hoesl a été révélé en remportant le Tiger Award avec son premier long métrage, l’imprévisible Soldate Jeannette. Il est de retour une dizaine d’années plus tard avec son quatrième film, Veni Vidi Vici, co-réalisé avec Julia Niemann avec qui il avait déjà signé le documentaire Davos. Veni Vidi Vici poursuit la réflexion entamée par Hoesl et Niemann sur le pouvoir, l’argent et la monstruosité du monde capitaliste. Cela peut prendre différentes formes : dans Soldate Jeannette, un ovni sur le renversement des valeurs matérialistes. Dans WinWin, une comédie malaise où les loups de la finance ne se donnent même plus la peine de porter des masques. Dans Davos, une approche documentaire mais néanmoins féroce sur ceux qui gouvernent le monde. Veni Vidi Vici, en trois mots, ressemble au mariage de ces trois premiers longs métrages.

Veni Vidi Vici s’ouvre par une citation issue de La Source vive d’Ayn Rand (autrice théoricienne du capitalisme) : « La question est : qui va m’arrêter ? ». Cette interrogation provocante prend une dimension particulièrement cinglante dans le film d’Hoesl et Niemann, dont le personnage principal est un entrepreneur richissime qui, tels les protagonistes de WinWin, n’a même plus besoin de cacher son visage monstrueux. Littéralement : Maynard peut dézinguer des passants en plein jour, comme des politiques peuvent écraser des populations entières – ça ne semble finalement émouvoir personne. Le meurtre brutal et inattendu dans la première séquence place immédiatement le film dans le registre de la farce absurde. Veni Vidi Vici ne fait pas dans la dentelle ? C’est vrai, mais son caractère grotesque est également politique : les exagérations épaisses du film ne sont-elles pas, tout simplement, fidèles à la réalité ?

Maynard, golden boy vampire dénué de toute morale et à qui « tout le monde lèche le cul », est marié à une femme plus âgée que lui – l’impression de voir Emmanuel et Brigitte Macron crève les yeux. Veni Vidi Vici se déroule dans sa bulle, dans un palais blanc immaculé, là où les fillettes roulent en Porsche, là où l’on chill sur une pierre tombale, là où une adolescente-monstre née avec tout un stock de cuillères d’argent dans la bouche peut affirmer fièrement : « la vie n’est pas juste » tout en expliquant qu’elle n’a besoin que de peu de choses dans sa chambre de luxe. « J’ai toujours cet esprit gore et potache en moi » nous confiait Hoesl en 2013. A l’image de Ruben Östlund qui faisait rouler (littéralement) les ultra-riches dans leur vomi et leur chiasse dans Sans filtre, Hoesl et Niemann trempent leurs personnages dans le sang et racontent la bienséance bourgeoise comme un plan meurtrier – mais avec politesse et propreté.

Veni Vidi Vici dépeint un twist moral sur le réel qui rend tout possible. « Si tu ne te fais pas prendre, tu mérites tout ce que tu as volé », confie un ami d’une des protagonistes. Voilà qui est énoncé comme si c’était parfaitement factuel, mis au même niveau que mille et une phrases creuses sur la famille et ses valeurs – les mots sont totalement vidés de leur sens. Alors que Soldate Jeannette était un film violent sans violence, Veni Vidi Vici fait, en quelque sorte, le chemin inverse : des violences sont à l’écran comme dans la vie, mais les distingue-t-on encore ? Mise en scène avec précision et netteté, la comédie cynique de Daniel Hoesl et Julia Niemann affiche un sourire de clown dérangé et son ironie mordante semble installer une distance – mais n’est-ce pas là un film d’une désarmante honnêteté ?

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par Nicolas Bardot

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