Critique : Un an, une nuit

Le soir du 13 novembre 2015, Ramón et Céline, un jeune couple, assistent au concert du Bataclan. Ils réchappent à l’attaque terroriste, mais ne parviennent pas à reprendre une vie normale. Tandis que Céline cherche désespérément à oublier cette nuit cauchemardesque, Ramón se repasse inlassablement les événements dans la tête, comme pour trouver un sens à l’horreur. ​ ​Pourtant, ils doivent désormais affronter la même question : comment surmonter l’épreuve et se tourner de nouveau, ensemble, vers la vie ?

Un an, une nuit
Espagne, 2022
De Isaki Lacuesta

Durée : 2h00

Sortie : 03/05/2023

Note :

NOTRE MUSIQUE

Transformer l’histoire collective des attentats du Bataclan en fiction sur deux survivants imaginaires ? Le projet d’Un an, une nuit semblait porter d’emblée en lui le germe de la mauvaise idée. Si la crainte d’un mauvais goût maladroit était légitime, le cinéaste espagnol Isaki Lacuesta (Entre dos aguas) se montre heureusement habile dans le slalom qu’il effectue autour du sujet. Situé quasi intégralement dans l’après 13 novembre, Un an, une nuit ne fait pas entièrement l’impasse sur la représentation des événements (et sur ce point, il s’en sort plutôt bien en n’en montrant pas trop), mais il ne s’agit ni d’un film de reconstitution ni d’un film à suspens. Le long métrage est l’adaptation de l’ouvrage de l’Espagnol Ramón Gonzalez, survivant du Bataclan, qui a librement transformé son expérience personnelle en récit. Avec une démarche cinématographique proche, Lacuesta vient accentuer avec succès ce pas de côté bienvenu face au réel.

Lorsque le film débute, les événements ont déjà eu lieu, juste avant. Hébétés et blottis sous la même couverture de survie dorée, Céline et Ramòn rentrent chez eux en traversant à pied un Paris désert. Dans la scène suivante, les amoureux sont chez eux, échangeant des sourires et des banalités sur les courses et la lessive à faire. Cette scène se passe bel et bien plus tard que la première, mais combien de temps après ? La nonchalance des personnages est si flagrante qu’on ignore si des mois ont déjà passé ou seulement quelques heures. Céline et Ràmon réagissent chacun à leur manière, mais aucun ne réagit de la manière à laquelle on s’attend.

Lacuesta raconte l’après en évitant intelligemment les réponses trop simples. Les formules toutes faites et la psychologie de comptoir y sont même directement raillés par les protagonistes. En suivant une trame non chronologique et hachée, en faisant voyager des mêmes sons à cheval sur différentes scènes, il donne à leur survie des airs d’un labyrinthe ou d’un songe. Les souvenirs remontent à la surface comme des flashes, et pourtant la vie continue dans toute sa banalité et sa complexité. Céline et Ramòn restent un couple comme les autres, mais Un an, une nuit brille par sa capacité à éviter la psychologie, montrant que toute explication serait vaine et absurde.

Cette qualité, il ne la conserve pas tout du long : dans sa deuxième moitié, le film laisse justement beaucoup de place à la psychologie. Le mystère de la vie d’après de Céline et Ramòn se fait plus terre-à-terre, à coups de disputes dans le salon (un cliché de cinéma parisien, ironique de la part d’un cinéaste étranger), des scènes convenues mais heureusement tirées par le haut par Noémie Merlant et Nahuel Pérez Biscayart, tous deux particulièrement brillants. La suite perd de sa tension mais conserve ses surprises. Surtout, Lacuesta parvient à garder la barre de son entreprise : celle de traduire la manière particulièrement émouvante qu’ont ses personnages de s’arranger avec la réalité. Sa mise en scène ne vise pas le réalisme mais cherche à faire nôtres les souvenirs et les rêves de Céline et Ramòn. Le récit intime de ces deux personnages de fiction (re)devient alors une histoire collective.

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par Gregory Coutaut

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