Berlinale | Critique : The Scary of Sixty-First

Noelle et Addie cherchent une colocation et tombent sur l’affaire du siècle: un duplex dans le quartier chic de l’Upper East Side à Manhattan. Peu après leur emménagement, l’appartement révèle un visage plus sinistre alors qu’une mystérieuse femme les informe que celui-ci appartenait à Jeffrey Epstein.

The Scary of Sixty-First
Etats-Unis, 2021
De Dasha Nekrasova

Durée : 1h21

Sortie :  –

Note :

HELL’S KITCHEN

Dès son générique de début, The Scary of Sixty-First déploie de très appétissants et excitants repères cinéphiles. L’architecture gothique des luxueux gratte-ciel de Manhattan (une architecture démoniaque, selon la réalisatrice) y est accompagnée d’un angoissant clavecin synthétique tout droit sorti des BO de Dario Argento, et le noms s’y surimpressionnent dans un liseré rose layette en forme de clin d’œil à Rosemary’s Baby. Pour son tout premier film, l’américano-biélorusse Dasha Nekrasova s’empare sans crainte et avec une ardeur communicative des codes de l’horreur paranoïaque, urbaine et satanique des années 70. Hommage fétichiste ? Pas seulement, car Nekrasova a bien compris et adopté ce qui rend si précieuse cette page de la contre-culture : sa profonde subversion.

Contrairement à ces premières apparences, The Scary of Sixty-First n’est pas un film tourné vers le passé. Le film parle au contraire d’un scandale particulièrement récent et brûlant : celui de la mort de Jeffrey Epstein, homme d’affaire américain arrêté pour trafic sexuel de mineurs et retrouvé mystérieusement suicidé dans sa cellule alors que s’apprêtaient à être dévoilés ses liens supposés avec d’autres hommes puissants, à commencer par le Prince Andrew. Comme le rappelle l’un des personnages, la mort d’Esptein est l’unique certitude dans cette affaire particulièrement sordide, le reste ne peut être que spéculation. Face à l’horreur de cette histoire vraie, nous sommes laissés face à notre seule imagination, et c’est peut-être ça qu’il y a de plus angoissant. C’est cette angoisse que l’on retrouve au cœur du film, magnifiée par une écriture d’une audace dingue.

Croyant à peine à leur chance, Noelle et Addie emménagent dans un quartier bien trop chic pour elles, dans un appartement à l’agencement absurde. L’appartement de rêve dévoile peu à peu ses sombres recoins : tâches de sang sur le matelas ou griffures sur les murs. Quand elles apprennent que leur nid douillet faisait encore récemment partie du parc immobilier d’Epstein, elles se demandent quelles tortures sexuelles ont bien pu s’y dérouler, et quels traumatismes en imprègnent encore les murs, prêts à les contaminer à leur tour. Utiliser cette histoire vraie, à la blessure encore grande ouverte, pour en faire un film d’horreur ? On ne peut pas dire que Dasha Nekrasova ait froid aux yeux. Et encore, le film ne fait alors que commencer.

Dasha Nekrasova a coécrit ce film avec sa compagne Madeline Quinn. Elles interprètent ici les rôles de deux amantes, apprenti-détectives embarquées dans un tourbillon de psychose et de théories du complot. Autour d’elles, le film n’a peur ni de la véritable horreur (on court ensanglantée dans un New York nocturne et désert), ni (et c’est peut-être encore plus fou) de la part d’ironie un peu camp inhérente à certains giallos. Une jeune fille, alors comme possédée, se masturbe avec des photos kitsch du Prince Andrew ? Le culot de cette scène sans cynisme laisse coi. Se payer une telle liberté de ton sans jamais cesser de prendre au sérieux l’horreur réelle de l’affaire Epstein, voilà bien un tour de force narratif. The Scary of Sixty-First est l’un des films les plus incroyablement gonflés qu’on ait vu depuis longtemps. Bravo.

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par Gregory Coutaut

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