Festival New Directors/New Films | Critique : Tommy Guns

En 1974, les Portugais et leurs descendants fuient l’Angola où des groupes indépendantistes récupèrent leur territoire.

Tommy Guns
Portugal, 2022
De Carlos Conceição

Durée : 2h00

Sortie : –

Note :

PASSÉ SOUS SILENCE

Le titre original de Tommy Guns (Nação Valente) signifie nation vaillante, et ce sont parmi les premiers mots de l’hymne national portugais. « Héros de la mer, noble peuple, nation vaillante et immortelle, montrez aujourd’hui de nouveau la splendeur du Portugal ! ». Ce chant patriotique fait notamment écho au passé colonialiste du pays. Tommy Guns se déroule justement dans une ancienne colonie portugaise, l’Angola, et nous sommes précisément en 1974, à la veille de l’indépendance du pays. On s’attend à ce que le film raconte ce basculement, mais tout est plus complexe dans le second long métrage de Carlos Conceição.

Cinéaste portugais né en Angola, Conceição fait d’abord le récit violent de la présence de colons en Afrique. C’est un crépuscule, mais la page de 400 ans de colonialisme se tourne t-elle aussi facilement ? Le passé imprègne forcément le présent dans Tommy Guns. Des protagonistes peuvent bien être éliminés brutalement, mais la tension fantomatique persiste. Parfois de manière allégorique, dans un étrange silence. Parfois de manière beaucoup plus explicite à l’écran : les tombes ne sont peut-être pas fermées pour toujours.

« Depuis quand êtes-vous là ? En quelle année sommes-nous ? » : des soldats portugais errent ici, et l’on finit par ne plus savoir vraiment pourquoi. C’est une présence qui devient incongrue, comme ce grand portrait de Brigitte Bardot qui resurgit de l’eau, au cœur de la jungle. La nuit zebrée d’orages a quelque chose à dire et à réveiller. La démarche de Carlos Conceição rappelle celle des Brésiliens Marco Dutra et Caetano Gotardo sur Todos os mortos, qui se servent du cinéma de genre pour parler non seulement du colonialisme passé mais aussi de la persistance d’un esprit colonialiste.

La bizarrerie va crescendo dans Tommy Guns et le film se déploie de plus en plus. Ça n’est pas une ligne droite et c’est souvent par ses détours et ruptures que le film brille, comme lors de cet épisode où apparaît une travailleuse du sexe (interprétée par Anabela Moreira, vue récemment dans Diamantino, By Flávio et Feu follet). Celle-ci danse sur Spring, Summer, Winter And Fall d’Aphrodite’s Child mais le temps est une matière bien plus malléable qu’une simple succession de saisons dans ce long métrage.

Ce trouble est une puissante interrogation sur l’Histoire et son héritage. Conceição installe en premier lieu des archétypes du film de guerre qu’il saborde peu à peu, par sa grammaire du fantastique ou son regard sur la masculinité. La boussole de Tommy Guns ne nous est jamais réellement confiée en avance et cela participe à l’excitation procurée par le film. Peuplé de visions impressionnantes et généreuses, fantastique et politique, le long métrage de Carlos Conceição est un remarquable ovni qui raconte avec intelligence un présent hors-champ.

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par Nicolas Bardot

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