Critique : Occupied City

Le film propose un portrait croisé : à la fois une immersion dans la période de l’occupation nazie qui continue de hanter la capitale néerlandaise, ville d’adoption du réalisateur ; et une exploration étourdissante de ces dernières années, marquées par la pandémie et les mouvements sociaux. Il en ressort une expérience bouleversante mais qui célèbre la vie, une vaste méditation sur la mémoire, le temps et notre devenir commun.

Occupied City
Pays-Bas/Royaume-Uni, 2023
De Steve McQueen

Durée : 4h22

Sortie : 24/04/2024

Note :

DES MOTS DÉMOLITION

La ville occupée dont il est question dans ce documentaire fleuve de Steve McQueen, c’est Amsterdam, où réside le cinéaste et vidéaste britannique. L’occupation en question, c’est celle des nazis, qui en l’espace des quelques années de la Seconde Guerre Mondiale ont exécuté 60.000 des 80.000 personnes juives qui peuplaient la capitale néerlandaise. Est-ce à dire qu’Occupied City est une documentaire historique? Oui et non car le son est entièrement dévolu au passé tandis que l’image est entièrement tournée vers le présent.

Occupied City se compose d’une succession de scènes brèves fonctionnant sur un même principe, simple mais férocement éloquent. Une voix off féminine commence par donner une adresse dans la ville puis raconte brièvement les faits qui ont conduit à la mort des personnes juives qui y habitaient. La caméra filme quant à elle le bâtiment qui se trouve aujourd’hui à cette même adresse. Certains monuments célèbres sont toujours là, certaines maisons également, habitées par des personnes au quotidien apparemment insouciant (une cachette secrète est devenue une cave à vin, des lieux de tragédies accueillent des matous paisibles). Le plus souvent pourtant, les bâtiments d’époque n’existent plus, ont été détruits par la guerre et remplacés par des lieux anonymes et sans histoire telles des boutiques de luxe. La litanie des tragédies se termine d’ailleurs le plus souvent par un même mot tombant comme un couperet : « démoli ».

Comment témoigner de l’Histoire dans une ville où les traces du passé ont disparu ? A cette question passionnante et complexe, McQueen n’offre pas de réponse simpliste. Écrit par la vidéaste Bianca Stitger (qui dilatait déjà le temps dans son excellent documentaire historique Three Minutes – A Lenghtening), cet implacable catalogue se déroule avec une répétition mécanique qui n’empêche pas de ressentir l’horreur encore cachée derrière les jolies façades de la ville. Cette sobriété extrême peut rappeler certains des documentaires/compilations de Radu Jude (Exit of the Trains), mais le curseur de la radicalité est poussé encore plus loin, ne serait-ce que par la durée monstre de l’ensemble : 4h22 ! Cette longueur et ces répétitions créent un effet sidérant de violente hypnose mais pour être tout à fait honnête, c’est aussi une sacrée épreuve de patience.

Dans la deuxième moitié du film, les bâtiments privés laissent progressivement place à des espaces ouverts et publics, créant un effet paradoxal. De rassemblements pour le climat en concerts caritatifs de Jeangu Macrooy, ces décors vivants nous montrent une société contemporaine mixte, joyeuse et engagée, mais ils viennent aussi nous rappeler en filigrane que l’horreur du fascisme est prête à remonter à la surface et envahir à nouveau les rues un peu partout en Europe et ailleurs. Impossible de détourner le regard face à ce qui est pourtant invisible : le passé, ses fantômes, ses réminiscences.

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par Gregory Coutaut

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