Festival de Rotterdam | Critique : Silent Ghosts

Dans une ville mystérieuse, une femme dans la brume matinale, un touriste, un vieil homme étrange, un jeune homme imprudent et deux policiers accablés de problèmes se croisent.

Silent Ghosts
Chine, 2023
De Yang Heng

Durée : 2h22

Sortie : –

Note :

LES GRANDS ESPRITS

Révélé à Busan en 2006 où il avait remporté le Grand Prix avec Betelnut, le Chinois Yang Heng a réalisé plus récemment le fascinant Ghost in the Mountains qui est passé entre autres à la Berlinale. Son nouveau film, Silent Ghosts, reste dans cette lignée spectrale et hypnotique. Un jeune photographe égaré dans la nature tombe sur une étrange apparition : une jeune femme en robe de mariée, prostrée dans la verdure – son voile et sa position donnent l’impression qu’il pourrait tout aussi bien s’agir d’une créature ensommeillée dans son cocon. Est-ce un rêve ou la réalité ? L’énigme est magnétique dans ce long métrage où il faudra attendre une vingtaine de minutes pour qu’un personnage ouvre la bouche.

Silent Ghosts se déroule au nord-ouest de la province de Hunan, au cœur de la Chine – et au cœur du monde. On guette ce qui apparaît au fond des bois ou sur les routes sinueuses, dans l’ombre des grottes ou dans le silence de bâtiments abandonnés. Yang Heng filme les décors comme personne. Les paysages majestueux sont utilisés de manière dramatique, illustrant la communication entre le monde extérieur et les mondes intérieurs. « Je suis très sensible aux peintures classiques de paysages chinois. Ces artistes anciens s’attachaient particulièrement à décrire le ciel, la terre, la montagne et l’eau dans leur peinture, et les gens n’étaient qu’une part de ce monde – pas le centre », nous expliquait-il au sujet de Ghost in the Mountains. Des propos qui s’appliquent parfaitement à son nouveau long métrage.

A l’image de …Mountains, le fantôme (les fantômes?) incarne(nt) la dérive mentale des personnages dans Silent Ghosts. On erre et divague au fil des clopes et des gorgées d’alcool, dans des ruines magnifiques ou au bord de l’eau. Les mouvements reptiliens de la caméra nous immergent dans l’espace et le temps. On plonge et ressort d’un rêve en un travelling avant puis un travelling arrière. La stupéfiante narration visuelle de Yang Heng suit avant tout, par-dessus tout une logique poétique. Ce qui à première vue pourrait ressembler à une épure austère est au contraire une contemplation d’une générosité extraordinaire.

Silent Ghosts raconte t-il un lieu peu à peu abandonné au point de devenir fantôme ? S’agit-il d’une légende urbaine (ou ici rurale), celle-ci n’est-elle pas inventée de toutes pièces ? Ce n’est pas parce que le cinéaste a une histoire à narrer qu’il doit nous en confier les clefs. Les présences incongrues (des mannequins en plastique portant une robe rouge et retrouvant la vie, des Yamaha au rouge rutilant garées dans les montagnes et qui prennent feu) sont des cailloux étranges qui peut-être ne mèneront nulle part. Mais l’harmonie visuelle de Silent Ghosts, le travail exceptionnel de Yang Heng ainsi que de son directeur de la photographie Lu Songye et son coloriste Yov Moor (on pourrait également mentionner le travail sonore) nous emmènent extrêmement loin. Cette traversée du miroir est une expérience ensorcelante.

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par Nicolas Bardot

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