Festival Black Movie | Critique : Shari

L’hiver 2020, il a peu neigé sur la péninsule de Shiretoko, qui se trouve tout au nord du Japon. Là-bas, des espèces sauvages et rares cohabitent avec les humains. La glace peine à apparaître mais bien qu’inquiets, les habitants poursuivent les activités quotidiennes. C’est alors qu’apparaît une mystérieuse créature rouge dans ce décor idyllique…

Shari
Japon, 2021
De Nao Yoshigai

Durée : 1h03

Sortie : –

Note :

PAYS DE NEIGE

On a pu découvrir la Japonaise Nao Yoshigai avec son brillant court métrage Grand bouquet qui fut sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2019. Dans notre entretien, la cinéaste nous parlait de son désir de « constituer un film tactile, c’est-à-dire un film que l’on pourrait apprécier par ses images, par le son mais aussi par le corps ». C’est une description qui sied parfaitement à son premier long métrage, Shari. Il y a une dimension physique et sensorielle évidente dans le film – la sensation de la neige et du froid, l’étrange chorégraphie d’une créature fantastique ou les affrontements sur le dohyō. Avec talent, la réalisatrice fait confiance et laisse de l’espace au public pour ressentir ses histoires sans qu’elle n’ait besoin de les raconter de manière conventionnelle.

C’est un pari ambitieux, mais c’est aussi un film tout à fait épuré. Quelques rencontres, pendant un peu plus d’une heure, auprès de gens simples dans un Japon rural. On cuit des petits pains, on pêche, un matou des neiges s’endort paisiblement près d’un four. Le film est chaleureux mais jamais niais ; le regard de la cinéaste est suffisamment singulier et poétique pour nous épargner les clichés pittoresques. Dans ce décor tout à fait réaliste surgit une tache écarlate sur la neige blanche. Une « chose rouge » comme elle est désignée dans Shari, tel un yokai monstrueux looké comme Björk pour la pochette d’un nouvel album. Cet élément perturbateur apparaît dans un environnement ralenti par la neige, endormi par le froid, mais où tout le monde s’inquiète du dérèglement climatique. La créature étrange et muette déboule, comme si celle-ci matérialisait en une grotesque boule de feu la menace environnementale et les craintes des habitants.

Derrière l’allégorie poétique au ton curieux et cet être à la fois enfantin et menaçant, concret et abstrait, le long métrage traite de problématiques tout à fait tangibles, qui appartiennent à la vie de tous les jours. C’est un film délicat sur le sentiment d’appartenance à un lieu – un lieu qu’on n’a jamais quitté de sa vie, où l’on construit sa cabane idéale, ou un lieu auquel on s’est raccroché un jour sans jamais en partir. C’est, comme on l’a dit, un long métrage sur le désastre environnemental constaté quotidiennement. C’est, avant tout, un film sur le puissant rapport à la nature. Dès le premier plan, on ne distingue plus les nuages de la montagne, ils constituent un ensemble indistinct. Shari examine la coexistence des humains, des animaux, des éléments : c’est un cercle que la cinéaste dessine. Cette petite ville paraît coupée du monde, et en même temps pas du tout : chacun semble entretenir un rapport étroit avec ce qui l’entoure, avec davantage d’attention à la nature.

Shari, enfin, sous son humble apparence, est un film truffé d’idées visuelles. Il y a un montage dynamique, ludique et stimulant. Il y a aussi de nombreux plans majestueux aux lignes épurées sur la neige, la mer, la montagne au loin. La neige et les nuages peuvent être roses à certains moments de la journée, mais Shari parvient à être coquet sans être une carte postale. Le film confirme le talent à part de sa réalisatrice, dont on espère avoir bientôt des nouvelles.

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par Nicolas Bardot

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