Festival de Vesoul | Critique : Saturday Afternoon

Un samedi après-midi, un attentat a lieu dans un café du centre de Dacca, la capitale du Bangladesh. Les terroristes se servent de la religion pour diviser et tuer des gens, alors que les otages qui sont encore en vie, tous musulmans également, essaient de défendre leurs propres valeurs humanistes.

Saturday Afternoon
Bangladesh, 2019
De Mostofa Sarwar Farooki

Durée : 1h23

Sortie : –

Note :

EN IMMERSION

Pouvez-vous citer beaucoup de cinéastes du Bangladesh ? Mostofa Sarwar Farooki (lire notre entretien) est certes encore peu connu en France (seul Doob : No Bed of Roses était sorti sur nos écrans il y a trois ans) mais ses longs métrage sont régulièrement sélectionnés dans les festivals les plus réceptifs à la découverte et la singularité, tels Busan, Locarno ou Rotterdam. Or, de la singularité, il y en a dès l’origine du projet de son tout dernier film. Si Saturday Afternoon s’inspire en effet d’événements réels (une prise d’otages à Dacca en 2016 par des islamistes radicaux), Farooki prend le parti d’opérer cette reconstitution réaliste à travers une sacrée loupe : celle d’un unique plan-séquence d’1h20.

Difficile de garder l’équilibre avec un outil aussi encombrant dans les bras ? Sur le papier, cette idée tendait effectivement un énorme piège : celui d’un mauvais goût qui aurait sacrifié la dignité du sujet sur un autel racoleur. Mais ici, le plan-séquence n’est pas un gimmick. Tout tendu et nerveux qu’il soit, Saturday Afternoon n’est pas à proprement parler un thriller. De l’arrivée des terroristes, de la mise en place initiale de leur plan, nous ne verrons rien. Les mises à mort ont lieu hors-champ,  et le film commence alors que les protagonistes sont tous repliés dans un café, en position d’attente.

Ce plan-séquence entre quatre murs ne ressemble ni à du Bi Gan ni à du Sokurov. L’ambition n’est pas la même, et les moyens non plus – et cela saute très rapidement aux yeux. Cette prise d’otages est plutôt un huis-clos théâtral, où l’accent n’est pas mis sur l’action mais sur le verbe. Coincée dans ce café, la parole résonne au sens propre comme au figuré : celle des terroristes, à la fois brutale et absurde, et celle des otages, tantôt extirpée, intarissable, illogique ou prudente. C’est bel et bien la langue (et ses différents accents – détail qui a son importance) qui impose sa propre vie à l’intérieure du plan-séquence, qui lui donne du relief et du rythme. Elle respire, accélère, s’affole et se cogne à la folie comme une mouche qui chercherait une fenêtre ouverte. Ce que Farooki met en scène avec fluidité, c’est moins un état des lieux factuel des événements que la partition de cette parole, et comment la parole devient l’ultime outil de la liberté quand celle-ci fait défaut. Il est d’une ironie cruelle que le film ait été censuré et rendu invisible au Bangladesh.


Saturday Afternoon sera présenté le jeudi 27 février à Paris, à l’Espace Saint Michel, dans le cadre du rendez-vous mensuel Inédits d’Asie, en présence du réalisateur. Retrouvez toutes les informations sur la page Facebook de l’évènement.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article