Critique : Le Bruit du dehors

Daniela ne sait pas ce qu’elle va faire ni où elle va vivre. Mia termine un master. Elles vont se retrouver, pendant plusieurs mois, entre Vienne et Berlin. Avec Natascha, une autre amie qui pense déménager à Vienne, elles déambulent et parlent d’elles.

Le Bruit du dehors
Allemagne, 2021
De Ted Fendt

Durée : 1h01

Sortie : 01/07/2022 (en salles, vod et dvd)

Note :

LA MALADIE DU SOMMEIL

Entre Berlin et Vienne, trois jeunes filles traversent l’été côte à côte. C’est un été paisible comme un autre, avec ses promenades nonchalantes au parc, ses fêtes où l’on a la flemme de se rendre, ses heures passées à s’ennuyer et ses rencontres avec des garçons sans intérêt. C’est pourtant également un été décisif puisque c’est pour les protagonistes celui de la fin des études et d’une entrée incertaine dans la vie active. Daniela, Mia et Natasha sont des filles cultivées, aux parcours brillants, mais elles sont pourtant pleines de doutes.

Qu’elles se trouvent à New York ou en Europe, elles sont comme frappées d’une sorte de décalage horaire. Vivant les unes chez les autres pour mieux éviter de se fixer, c’est comme si, une fois leurs études derrière elles, elles réalisaient qu’elles n’avaient plus de boussole pour avancer. Elles peuvent philosopher sur l’anthropologie ou Ingeborg Bachmann, mais se révèlent incapable d’interagir simplement avec le monde qui les entoure, et la torpeur estivale de ces villes vidées de leurs habitants vient traduire l’étrange maladie du sommeil qui peu à peu les accable.

Cinéaste américain venu tourner en Allemagne et en Autriche, Ted Fendt génère, de ce grand écart géographique, un film aux multiples échos. Peut-être plus immédiatement qu’au cinéma germanophone contemporain (quoique), on pense aux labyrinthes des vocations des personnages de Hong Sangsoo, aux comédie existentielles douces-amères du normcore nord-américain, mais aussi bien sûr avant tout à l’attachante solitude des héroïnes de Rohmer. À l’image de ses protagonistes, Le Bruit du dehors peine peut-être à trouver sa propre voix parmi d’aussi brillantes références, telle est sans doute sa limite, mais il n’en reste pas moins une réussite. Une mosaïque au charme poignant.

Le film trouve son chaleureux relief dans un mélange entre une écriture ultra réaliste, proche de l’autofiction (les actrices sont d’ailleurs toutes co-créditées au scénario) et une mise en scène aux décalages discrets. Tourné en 16 mm et en lumière naturelle dans un très bel effet lo-fi, Le Bruit du dehors semble en effet sortir d’une autre décennie. D’ailleurs les téléphones portables y marchent mal et on y note des adresses sur des bouts de papier. Le film est rempli des images et surtout des bruits de ce monde extérieur où les héroïnes ont justement du mal à exister : par son travail sur le son comme par tout le reste, c’est comme si le film nous prenait par la main pour nous inviter à y trouver à notre tour notre propre place.

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par Gregory Coutaut

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