Critique : Nous

Une ligne, le RER B, traversée du nord vers le sud. Un voyage à l’intérieur de ces lieux indistincts qu’on appelle la banlieue. Des rencontres : une femme de ménage à Roissy, un ferrailleur au Bourget, une infirmière à Drancy, un écrivain à Gif-sur-Yvette, le suiveur d’une chasse à courre en vallée de Chevreuse et la cinéaste qui revisite le lieu de son enfance. Chacun est la pièce d’un ensemble qui compose un tout. Un possible « nous ».

Nous
France, 2020
De Alice Diop

Durée : 1h55

Sortie : 16/02/2022

Note :

LA FRANCE

Assez tôt dans Nous, Alice Diop filme la lumière vacillante d’un lampadaire à un croisement de rue totalement vide, la nuit. Diop va investir cet espace, aller à la rencontre des gens qui vivent ici et là. Nous s’inspire du chemin parcouru dans Les Passagers du Roissy Express de François Maspero. Alice Diop suit la ligne B du RER – celle-ci passe par Saint-Denis ou Aulnay-sous-Bois (d’où elle vient), La Courneuve ou Drancy – et ironiquement s’achève à l’aéroport Charles de Gaulle où l’on peut s’envoler pour partir à l’autre bout du monde. Mais, de la basilique dernière demeure des rois au mémorial de la Shoah, Diop effectue elle aussi un ample voyage, pas seulement dans l’espace mais dans l’Histoire.

Bien plus tard dans le documentaire, Alice Diop rencontre Pierre Bergounioux. Celui-ci se confie sur l’importance de donner une existence littéraire à la Corrèze, dont il est originaire. Leur échange est passionnant, il éclaire de manière assez évidente la démarche de Diop – et en incluant cette séquence, la cinéaste ne cache pas la démarche pédagogique de Nous. Le film est là pour donner une existence filmique à la banlieue : on parle avec Bergounioux de montrer des vies à la lisière et ce sera le cas ici avec le portrait en mosaïque de ce monde en périphérie.

Nous s’ouvre par une scène dans laquelle un chasseur observe un cerf au loin. Il a besoin de ses jumelles, à vrai dire on ne distingue rien à première vue. Un groupe d’hommes blancs, comme atterris d’une autre époque, continuent de scruter et chasser ce qui se trouve à la lisière. Diop n’a pas besoin de jumelles pour voir ce bord du monde. Elle filme le RER bondé rempli de travailleurs racisés qui se lèvent tôt le matin. Elle rencontre un homme qui répare des voitures pourries et qui passe un coup de fil au Mali où il n’est plus retourné depuis 20 ans. Elle suit le parcours d’une infirmière à domicile qui administre des soins comme elle recueille des histoires – comme celle d’une Bretonne et de son amour venu d’Italie.

Voilà le nous dont parle le long métrage. Mais, à l’heure où le pouvoir voit l’organisation en communautés comme une menace contre la république, à l’heure de la loi contre le « séparatisme », ce nous est loin d’être une évidence. Alice Diop fait un film sur la banlieue ? En filmant la banlieue, elle filme aussi le fondement de la société. Un récit qui n’est pas celui des dominants, avec un regard doté d’empathie, qui ne regarde pas les banlieusards comme une population curieuse en terre inconnue. Diop commente, au sujet de ce nous : « c’est une question et un doute, une affirmation et un work-in-progress ».

Le film évoque finement et de manière émouvante l’appartenance à un lieu. Il l’évoque plus précisément encore lorsque la cinéaste s’invite dans le film, elle et ses souvenirs familiaux. Elle retrouve un vieux film familial en super 8, où l’on peut voir notamment quelques images de Noël en 1995. On y voit sa mère, aujourd’hui disparue, et déjà à la lisière de l’image. 18 minutes de bobines pour une éternité de souvenirs familiaux qui glissent entre les mains. Lorsque Diop filme plus tard son père, elle fixe son image et sa mémoire d’homme arrivé en France en 1966. Cette mémoire personnelle est politique et il faut la dire. Sinon que reste t-il de ce passé mis de côté ? Diop décrit avec une triste poésie l’appartement désormais vide de ses parents comme une tombe sans corps. Ce qu’elle filme est urgent, et son regard est doux. Le choix en générique de fin de Ma France de Jean Ferrat sonne comme une évidence : un chant d’amour en même temps qu’une critique politique.

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par Nicolas Bardot

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