Critique : L’Innocence

Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ…

L’Innocence
Japon, 2023
De Hirokazu Kore-Eda

Durée : 2h06

Sortie : 27/12/2023

Note :

UNE ÉDUCATION

Après une double parenthèse française (La Vérité) et coréenne (Les Bonnes étoiles) plus ou moins hasardeuses, Hirokazu Kore-Era revient sur ses terres avec L’Innocence. Il y retrouve une société japonaise où la brutalité et l’exclusion pointent sous les apparences les plus polies et mignonnes, sous le quotidien le plus chatoyant. Une ambivalence qui a d’ailleurs souvent conduit à un malentendu sur son cinéma, que certains peinent encore à prendre pour davantage qu’un gâteau pastel, exotique et raffiné. Du suicide collectif de la secte de Distance aux SDF de sa palme d’or Une affaire de famille en passant par les enfants abandonnés de Nobody Knows, l’œuvre brillante du cinéaste est remplie d’angles beaucoup plus aigus qu’il n’y parait.

Pourtant, on se ferait presque avoir à nouveau devant L’Innocence : ses couleurs élégantes, sa bienveillance générale et la musique composée par Ryuichi Sakamoto (la toute dernière de sa carrière, présentée ici à titre posthume), à la joliesse presque envahissante. On croit connaître d’avance tout ce programme-la. On croit savoir et on se trompe. Or c’est exactement le sujet de L’Innocence. Jeune mère célibataire, Saori est comme une chaleureuse grande sœur pour son fils. A eux deux ils forment autre chose que « ces familles banales qu’on peut croiser n’importe où ». Un jour, fiston brise l’harmonie quotidienne en lui confiant être victime de violence à l’école.

« C’est un malentendu », lui explique la directrice avec un manque de conviction quasi comique. Prononcé dans le cadre d’une réunion prête à basculer dans le surréalisme à force d’euphémismes (c’est peut-être la meilleure scène du film, la plus étonnante, dont le grain de folie évoque davantage Koji Fukada que le Kore-Eda traditionnel), ce mot met le feu au poudre. Sans parvenir à rien expliquer, il plonge au contraire toutes les personnes concernées dans la confusion. Tout le monde s’accorde à parler de brutalité sans pouvoir trancher qui est victime ou coupable. C’est comme si la violence était indéniablement présente partout mais impossible à pointer du doigt, comme un courant d’air ou un fantôme. « Est-ce que je suis en train de m’adresser à des humains ? » demande carrément maman à la dirlo.

L’Innocence remonte le fil de l’enquête à travers une structure narrative toute en virages et rebroussages de chemin. N’évitant pas toujours les répétitions, cette partie de puzzle est intrigante mais aussi un peu frustrante, car la succession prévisible de différents points de vue sur les mêmes événements révèle qu’il s’agissait effectivement d’un malentendu. Kore-Eda ferait preuve d’un manque d’ambition décevant s’il s’arrêtait à cette histoire de quiproquo, mais ses véritables enjeux sont ailleurs, même s’il les fait attendre.

C’est en abandonnant le monde des adultes aux explications simplistes et en suivant plutôt un chemin buissonnier explorant les sentiments complexes et puissants qui peuvent unir de très jeunes adolescents que L’Innocence présente son visage le plus éclatant. Quittant finalement les chemins sages et balisés, Kore-Eda nous offre un dénouement dont la dimension méga-romanesque et la morale sur l’éducation que nous léguons à nos enfants viennent nous cueillir avec ravissement.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article