Critique : Les Damnés ne pleurent pas

Fatima-Zahra traîne son fils de 17 ans, Selim, de ville en ville, fuyant les scandales qui éclatent sur sa route. Quand Selim découvre la vérité sur leur passé, Fatima-Zahra lui promet un nouveau départ. Ils arrivent alors à Tanger, où de nouvelles rencontres leur donnent l’espoir d’atteindre la légitimité qu’ils recherchent tant. Mais ces aspirations menacent la relation fusionnelle qui les lie depuis toujours.

Les Damnés ne pleurent pas
Maroc, 2022
De Fyzal Boulifa

Durée : 1h50

Sortie : 26/07/2023

Note :

SÉDUITS ET ABANDONNÉS

The Damned Don’t Cry était le titre original (traduit en français pas L’Esclave du gang) d’un film noir avec Joan Crawford. Outre leur titre, la corrélation entre celui-ci et le nouveau film de Fyzal Boulifa, qui vient d’être présenté à la Mostra, ne saute pas aux yeux. Après deux courts métrages primés à la Quinzaine des réalisateurs, Boulifa avait confirmé son talent d’écriture avec son premier long métrage, Lynn + Lucy. Hélas jamais sorti chez nous, ce film renouvelait avec un vrai sens de la tension les archétypes du cinéma social anglais.

Le dépaysement est radical puisque son second film, tourné en arabe et en français, se déroule au Maroc. Autre pays, autre langue, mais l’acuité du regard de Boulifa est toujours là. Fatima-Zahra voyage avec Sélim, son grand fils. S’il est habillé de façon passe-partout, elle est emperlousée à qui mieux-mieux, surtout quand et où il ne le faudrait pas. Sans avoir grand chose à se dire, ce curieux duo voyage. Le scénario l’annonce avec discrétion, c’est contre leur gré qu’ils passent d’un lieu d’hébergement à un autre. De villages en villages, ils sont chassés non pas par la misère ou la violence mais par… le scandale, qui poursuit Fatima-Zahra où qu’elle aille, tel les lourds parfums dont elle se pare.

Peut-être le rapport avec Joan Crawford se trouve-t-il ici, dans la dimension camp (dans le sens le plus attachant du terme) que Boulifa distille dans le portrait de cette mère imparfaite, du genre à mettre des lunettes de star même sur une carriole minable, du genre à finir bel et bien « esclave du gang » ou en amante séduite et abandonnée par le premier beau parleur. Ce portrait n’a rien de moqueur, l’écriture fine de Boulifa préserve la dignité du personnage sans cacher sa dimension pathétique et poignante, sans masquer la violence plus ou moins larvée (on peut-même parler de cruauté) de chaque réplique et situation.

Les Damnés ne pleurent pas est en réalité un double portrait. La structure audacieuse du scénario ne va pas là où on l’attend et passe de la mère au fils, alternant de protagoniste avec fluidité. Une fluidité qu’on ne retrouve pas toujours dans la gestion du rythme, qui par moments tire un peu en longueur. A travers l’arrivée du personnage de Sebastien, un français gay, le versant masculin du film s’attaque également à la brutalité de certains archétypes romanesques, telle la fétichisation raciale. Cette partie du film est traitée avec davantage de réalisme sérieux, mais la réussite du long métrage est justement, en évitant les sentiments artificiels et simplistes, et même en changeant de recette en cours de route, de parvenir à rester poignant jusqu’au bout.

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par Gregory Coutaut

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