Critique : Le Prince

Galeriste allemande de Francfort, Monika n’a rien en commun avec Joseph, diamantaire congolais en attente de régularisation, qui survit de combines plus ou moins légales dans la même ville. Tous deux pensent qu’ils sont différents, qu’ils ne sont pas le produit de leur environnement et qu’ils vont pouvoir surmonter les obstacles. Pourtant, la défiance s’immisce dans leur amour…

Le Prince
Allemagne, 2021
De Lisa Bierwirth

Durée : 2h05

Sortie : 15/06/2022

Note :

BRÈVE RENCONTRE

Curatrice dans une galerie d’art, Monika a la tête sur les épaules. Elle n’a ni l’âge, ni la naïveté de croire encore au prince charmant. Elle n’a pas la tête à chercher l’amour, mais on ne sait d’ailleurs pas trop vers où est tourné son esprit, coincé entre des œuvres tournées vers le passé (des sculptures faites de bouts d’anciens appartements) et une potentielle promotion qui tarde un peu à arriver. Comme bien des personnages du passionnant cinéma d’auteur allemand contemporain, Monika est comme laissée sur pause lorsqu’on la découvre : derrière l’ancrage social se devine une poignante difficulté à interagir avec son entourage, à s’intégrer dans un groupe.

Lorsque le hasard lui fait rencontrer Joseph, ce n’est pas vraiment sur le mode du conte de fées, puisque c’est quasiment dans une poubelle qu’ils se tombent dessus, fuyant une descente de police dans un bar. Au-delà de l’ironie de ce point de départ inattendu, Le Prince n’est pas une comédie romantique. Ce n’est d’ailleurs pas une comédie tout court. Produit par Maren Ade et réalisé par Lisa Bierwirth (qui signe ici son premier film après avoir travaillé comme assistante de de Valeska Grisebach sur Western), ce drame possède les solides qualités d’écriture de l’école allemande : réalisme, élégance, et une manière d’interroger avec magnétisme la réalité autour de soi.

Immigré venu du Congo, Joseph est peut-être lié à un trafic illégal. Le prince charmant serait-il un simple escroc ? Lisa Bierwirth a le bon goût de ne pas tisser le film autour de cette question. C’est d’ailleurs plutôt le white gaze qu’interroge le film, à savoir la curiosité un peu condescendante que l’entourage de Monika éprouve pour Joseph. Les deux personnages sont d’ailleurs traités à part égale, richement écrits avec des nuances convaincantes et un sens fin du détail, et également interprétés avec talent par Ursula Strauss et le rappeur Passi.

Lorsque Joseph disparaît un temps de la vie de Monika, l’ensemble du film se retrouve alors quelque peu déséquilibré. Ce pas de côté n’est pas malhabile, il est sans doute un peu long (aussi incisive qu’elle soit, l’écriture de Bierwirth pourrait de façon générale se permettre quelques ellipses supplémentaires) mais laisse un petit point d’interrogation sur le point de vue du film. La relation amoureuse que l’on croyait voire naitre sous nos yeux se transforme alors en un récit plus retors (et plus allemand, pourrait-on dire) : le portrait d’une femme non pas séduite et abandonnée, mais une femme qui s’arrange avec l’ambiguïté, qui accepte de participer à sa propre perte de repère. Un vaste programme, et au final une réussite inattendue.

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par Gregory Coutaut

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