Critique : La Cordillère des songes

Au Chili, quand le soleil se lève, il a dû gravir des collines, des parois, des sommets avant d’atteindre la dernière pierre des Andes. Dans mon pays, la cordillère est partout mais pour les Chiliens, c’est une terre inconnue. Après être allé au nord pour Nostalgie de la lumière et au sud pour Le Bouton de nacre, j’ai voulu filmer de près cette immense colonne vertébrale pour en dévoiler les mystères, révélateurs puissants de l’histoire passée et récente du Chili.

La Cordillère des songes
Chili, 2019
De Patricio Guzmán

Durée : 1h25

Sortie : 30/10/2019

Note :

LE MUR INVISIBLE

Premier volet de sa trilogie, Nostalgie de la lumière se déroulait dans le désert. Le suivant, Le Bouton de nacre, faisait le chemin du cosmos aux profondeurs de l’océan. Le dernier, La Cordillère des songes, s’attache à la montagne. A chaque fois, le réalisateur chilien Patricio Guzman (lire notre entretien) interroge l’histoire politique de son pays, la violence qui la caractérise, la mémoire, l’oubli ou plutôt la volonté d’oubli. La nature semble là pour réveiller cette mauvaise mémoire ; « la montagne est un témoin » entend-on dans La Cordillère des songes. Et c’est un grand mur aussi auquel on se heurte.

Guzman partage ses propres souvenirs, sur son enfance et ses origines. Évoque ses regrets. Interroge d’autres témoins sur ce qui reste, sur ce qui ne se dissipe pas. Il visite des espaces désormais vides mais remplis de fantômes. La Cordillère est là encore, peinte sous forme de fresque dans le métro, et elle observe. « Dans tous les films que j’ai fait à la suite de La Bataille du Chili, jusqu’à ce tout dernier film, j’ai pu observer une répression, un manque d’opinion, une limitation de la liberté de parole, une classe intellectuelle très bien lotie et des pauvres de plus en plus pauvres ».

La Cordillère des songes parle beaucoup du passé et beaucoup du présent. Du Chili, dont l’âme est jugée comme pourrie – mais semble aussi parler d’ailleurs, très proche de nous. Du néolibéralisme, d’une société où toute chose doit être rentable, où l’on ne fait plus guère de différence entre des erreurs et des horreurs. Le film sort au moment où le pays se retrouve dans une crise sociale terrible, qui s’exprime par un immense mouvement de protestation. La cinéaste nous a confié avoir besoin de recul pour traiter de ce mouvement – pourtant il en parle déjà dans ce documentaire plus classique que ses précédents, mais d’une puissance politique intacte.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article