Festival New Directors New Films | Critique : Joy

Joy est une jeune nigériane prise dans le cercle vicieux du trafic sexuel. Elle travaille dans la rue pour rembourser les dettes de sa proxénète, tout en subvenant aux besoins de sa famille au Nigeria et en espérant une vie meilleure pour sa petite fille à Vienne. Joy a du mal à comprendre son rôle dans ce système impitoyable d’exploitation lorsqu’elle est chargée par sa proxénète de superviser Precious, une adolescente fraîchement arrivée du Nigeria qui n’est pas prête à accepter son sort.

Joy
Autriche, 2018
De Sudabeh Mortezai

Durée : 1h40

Sortie : –

Note : 

LARMES DE JOY

On a découvert la réalisatrice autrichienne Sudabeh Mortezai (lire notre entretien) avec son premier film de fiction, Le Petit homme, qui fut présenté en compétition à la Berlinale en 2014. Mais la cinéaste avait auparavant réalisé deux longs métrages documentaires, et cela pouvait se sentir dans sa première fiction. Cela se sent différemment dans Joy, qui semble mené par un récit plus écrit et construit que Le Petit homme. Mais s’il reste quelque chose du documentaire dans son nouveau film, c’est probablement dans son approche complexe et honnête des personnages et des situations, hors des trémolos mélodramatiques ou du cinéma social infantilisant et en noir et blanc des derniers Ken Loach.

Dans Le Petit homme, Mortezai s’intéressait au sort d’un jeune Tchétchène réfugié en Autriche. Dans Joy, la réalisatrice s’intéresse une nouvelle fois à la marge de la marge, aux plus vulnérables parmi les plus vulnérables. Et c’est à nouveau une histoire de déracinement avec Joy, femme nigérianne qui arrive en Europe pour se prostituer, et femme invisible qui risque à tout moment d’être renvoyée en Afrique. Il lui faut bien la force de la sorcellerie pour tenir debout, comme le suggère la première scène du long métrage. A ce qui pourrait être pris pour du folklore répond une scène jumelle en Europe, lors d’une procession de démons dans une auberge autrichienne. Il y a quelque chose de grotesque mais aussi de tristement authentique dans ce débordement de l’insensé sur le réel.

« Combien de filles aimeraient être à ta place ? » : Joy au-delà du « combat de femme » attendu, décrit la perversité d’un système qui contraint chacun à exploiter son prochain. Les esprits sont colonisés par le capitalisme, la vie et la dignité sont soumises à l’équivalent d’un entretien d’embauche. Et Mortezai décrit l’ambiguïté de ce système d’exploitation dans lequel des hommes occidentaux exploitent des femmes à la marge, mais qui peuvent elles-mêmes être aussi exploitées par leurs sœurs.

Le film a mille fois l’occasion de sombrer dans le pathos – et il y a de quoi. Mais, comme on l’a dit, le background documentaire de Mortezai (et puis tout simplement le fait qu’elle soit une très bonne scénariste) l’empêche de basculer. Ses héroïnes ont leurs moment où elles dansent et rient, accrochent des posters en rêvant de Beyonce ou Michelle Obama. Parce qu’elles ne sont pas ici des objets d’études, mais des sujets vivants. Des petits matins fragiles jusqu’à la nuit noire et enneigée. Le dénouement glaçant saisit à la fois l’urgence et la complexité du sujet dans ce film fort et qui devrait être vu.

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par Nicolas Bardot

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