Critique : L’Ombre du feu

Dans un bar japonais à moitié incendié, une femme veuve gagne sa vie en vendant des repas. Un orphelin de guerre se faufile dans sa maison et un jeune soldat démobilisé vient se nourrir en promettant de chercher du travail. Les trois entament un semblant de vie de famille. Mais les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale prennent le dessus et font éclater le trio…

L’Ombre du feu
Japon, 2023
De Shin’ya Tsukamoto

Durée : 1h35

Sortie : 01/05/2024

Note :

TERRE D’ASILE

50 ans après avoir réalisé ses tout premiers courts métrages, Shin’ya Tsukamoto continue de chercher l’horreur sous tous ses visages, même sous ceux étant en apparence les plus réalistes. L’Ombre du feu vient en effet poursuivre le cycle inattendu de films d’époque entamé par l’auteur de Tetsuo il y a une dizaine d’années avec l’incroyable Fires on the Plain, un film de guerre qui ne ressemblait à aucun autre. L’Ombre du feu se situe cette fois au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans un pays que l’on devine en ruine. Deviner est ici le mot clé, car la caméra de Tsukamoto ne va pas là où on l’attend.

Comme un reflet inversé aux nombreuses scènes de combat en forêt de Killing, L’Ombre du feu se déroule d’abord quasi exclusivement entre quatre murs. Les murs, il n’y a quasiment plus que ça qui tienne debout dans cette bicoque anonyme qu’on dirait ravagée par une tornade et où subsiste à peine un meuble pouvant servir de bar. C’est là que survit une jeune femme toute aussi anonyme, cachée comme un animal blessé. Du monde extérieur, on ne verra rien de rien, mais on devine qu’il ne doit pas beaucoup rester d’autres maisons puisque ne tardent pas à venir s’incruster ici un gamin des rues et un soldat abandonné. Cette cohabitation du héros de guerre avec la veuve et l’orphelin pourrait être l’ingrédient idéal d’un récit patriotique larmoyant sur la résilience et l’honneur de la guerre, mais Tsukamoto a heureusement le strict inverse en tête.

Cette humiliante survie collective est intenable pour les protagonistes, qui n’ont littéralement rien d’autre qu’une violence désespérée à s’envoyer à la figure. Tsukamoto fait de la contrainte du décor unique un atout en transformant ces murs jaunis en asile de fou, tandis que l’utilisation étonnante de la lumière donne l’impression qu’un tsunami s’abat derrière les fenêtres. Il faut surtout souligner l’usage sidérant que le cinéaste fait une nouvelle fois du montage. On associe souvent un montage ultra rapide à un cinéma de divertissement superficiel mais on a tort de ne pas imaginer autre chose. A la croisée du drame d’auteur et du film d’horreur psychologique, L’Ombre du feu puise une énergie folle, une imprévisibilité proche de la panique, dans son découpage saccadé comme jamais. L’effet est remarquable et on espère que les jeunes cinéastes prennent des notes.

Le film possède par la suite un cheminement qu’on ne dévoilera pas, mais dont les directions ne sont pas les plus évidentes à analyser à posteriori. Sans virer à l’énigme pour autant, L’Ombre du feu change suffisamment de peau et de rythme pour que la perte de repère laisse perplexe quant à ce que le cinéaste avait exactement à l’esprit. On peut regretter que le film se défasse progressivement de ce puissant sentiment d’immersion porté jusqu’ici par une mise en scène cinglée et cinglante (et souligné par le regard intense de la charismatique Shuri dans le rôle principal), mais après tout il n’est pas interdit aux films de se terminer sur un point d’interrogation, si frustrant soit-il.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article