Critique : Fremont

Donya, jeune réfugiée afghane de 20 ans, travaille pour une fabrique de Fortune Cookies à San Francisco. Ancienne traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, elle a du mal à dormir et se sent seule. Sa routine est bouleversée lorsque son patron lui confie la rédaction des messages et prédictions. Son désir s’éveille et elle décide d’envoyer un message spécial dans un des biscuits en laissant le destin agir…

Fremont
États-Unis, 2023
De Babak Jalali

Durée : 1h28

Sortie : 06/12/2023

Note :

MESSAGE PERSONNEL

« Qu’est-ce que tu ferais avec un million de dollars ? » : la question posée au début de Fremont peut ouvrir plein de portes, mais elle traduit surtout le fait que tout dans la vie semble être aléatoire, soumis au hasard. Donya, l’héroïne du long métrage (interprétée avec un mélange de douceur et de détermination par la débutante Anaita Wali Zada) est une traductrice qui a dû fuir l’Afghanistan. Elle se retrouve là, dans une ville de Californie – mais en fait elle pourrait être aussi bien aux États-Unis qu’en France ou ailleurs. « L’Amérique correspond à vos attentes ? », demande-t-on à la jeune femme qui n’en a pas réellement. Elle trouve d’ailleurs un emploi absurde dans une fabrique de fortune cookies, des biscuits chinois assortis d’un message en forme de maxime. Là encore, la prédiction est totalement aléatoire.

Dans le contexte dramatique de la fuite de Donya, tous les protocoles semblent futiles. Admirateur d’Aki Kaurismaki et de Jim Jarmusch, le réalisateur britannico-iranien Babak Jalali explore avec malice l’absurdité de l’existence. Donya peut énoncer avec une voix claire ce à quoi elle a échappé. Cette apparente absence d’émotion fait-elle d’elle une « bonne immigrée » ? Qu’est-ce qui chez Donya échappe à l’image figée d’une réfugiée réduite à une victime ? Voilà l’une des réussites de Jalali qui parvient avec une certaine finesse à humaniser ses personnages. Cela peut parfois aussi être un moteur de comédie, à l’image de ce personnage de psychiatre qui déjoue les clichés redoutés du psy censé nous surexpliquer les enjeux du film et les sentiments de l’héroïne.

Le film parvient à examiner le quotidien d’une exilée, traitant à la fois de trauma, de culpabilité et de transmission. Le choix du cadre et du noir et blanc vient souligner l’isolement de Donya – et des autres protagonistes. Mais l’autre bonne idée de Jalali est d’emprunter aux fortune cookies leur légèreté. Personne n’est vraiment dupe du fait que la vie est plus complexe qu’un message caché dans un biscuit. Néanmoins, le message est lu, reste dans un coin de la tête. Le mauvais esprit à froid est mélangé à une certaine tendresse dans une alchimie plutôt réussie. Si la dernière partie plus sentimentale nous a semblé un peu trop téléguidée, Fremont demeure un attachant récit dont la légèreté est aussi une profondeur.

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par Nicolas Bardot

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