TIFF 2022 | Critique : Flux Gourmet

Dans un centre d’arts, un collectif se retrouve mêlé à des luttes de pouvoir, des vendettas et des troubles gastro-intestinaux…

Flux Gourmet
Royaume-Uni, 2022
De Peter Strickland

Durée : 1h51

Sortie : –

Note :

BON APPÉTIT BABY

Commençons tout de suite par le premier compliment qu’on envie de faire à Flux Gourmet : voilà une farce (macabre, horrifique, intellectuelle, mais une farce tout de même) qui prend pour cadre le milieu de l’art contemporain sans pour autant s’en moquer. A l’inverse de plein de comédies qui, à force de clichés et de caricatures grossières, ne font que montrer leur ignorance en la matière, Flux Gourmet divertit tout en prenant au sérieux l’exigence, le plaisir, la recherche intellectuelle et le potentiel d’imagination de l’art contemporain. Le film ne vise certes pas le réalisme, mais cette preuve de respect pour celles et ceux qui font l’art contemporain est suffisamment rare pour être applaudie. Les performances artistiques que l’on voit dans le film sont parfois drôles, parfois horribles (souvent les deux en même temps) mais Peter Strickland est un cinéaste trop intelligent pour sombrer dans une facilité unidimensionnelle, ouf.

Sur Flux Gourmet comme sur les autres fascinants films du réalisateur britannique, c’est l’ambiguïté qui règne. Une ambiguïté alléchante et vénéneuse. Bouffonne et pourtant magnétique.   L’œil de Strickland est un prisme précieux aux reflets multiples. Ses images nous jettent un sort, et ses sons aussi. A ce propos, dans ce film plus que jamais, on se rappelle que le cinéaste avait été choisi par Björk pour filmer sa tournée Biophilia. L’une des meilleurs illustrations de la richesse de son point de vue est la manière dont sont filmées les exercices où ces performeurs doivent mimer avec une grande concentration… des courses au supermarché. Faut-il rire ou analyser ? L’hypnotisante étrangeté de ces scènes les fait passer de mini-sketchs à des vignettes entêtantes.

Un centre d’art n’est pas un lieu qu’on relierait immédiatement au cinéma fantastique. Pourtant, à l’instar du pensionnat de jeune filles, c’est un lieu d’apprentissage (apprentissage du pouvoir, des pouvoirs…). Celui de Flux Gourmet ressemble à un manoir sorti d’un giallo ou d’un film de la Hammer. Quant à ses résidents, ils ont l’air de tous sortir d’un film différent. La propriétaire des lieux a des airs de sorcières sophistiquée, le médecin pourrait bien être un savant fou, et le collectif d’artistes ressemble plutôt un groupe électro. Et comme si ces décalages ne suffisaient pas à créer déjà le plus appétissant et tordu des cocktails, Strickland nous met encore plus d’eau à la bouche en déployant son sens aigu du fétichisme.

Il y a un raffinement fou, parfois flamboyant, dans Flux Gourmet. Les fanfreluches et bonnets de nuit satinés portés par Gwendoline Christie on dû rendre jaloux tous les autres interprètes, même si Ariane Labed crève aussi l’écran avec sa coiffure en forme de palmier platine. Ce raffinement est aussi subversif, empli du plaisir contagieux de choquer et de violenter, de fantasmes anthropophages en flatulences dûment consignées. On pense au Greenaway du Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant mais on pense aussi à John Waters (a-t-on raison de penser à Edith Massey quand un perso dit se masturber en pensant à un « egg lady » ?), et on se demande si Strickland a envisage de tourner ce film en Odorama. Entre terreur et comédie, le récit de Flux Gourmet manque parfois de clarté, en revanche il ne manque jamais de générosité ni surtout de perversion. Tant mieux. Le résultat fait ronronner autant qu’il soulève le cœur.

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par Gregory Coutaut

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