A voir en ligne | Critique : City Hall

Frederick Wiseman investit la municipalité de Boston, où le Maire démocrate Marty Walsh et ses équipes travaillent dans un esprit participatif et collaboratif avec les citoyens, à la mise en place d’une politique sociale, culturelle et égalitaire.

City Hall
États-Unis, 2020
De Frederick Wiseman

Durée : 4h32

Sortie : 21/10/2020

Note :

COMMUN EFFORT

Les titres des derniers films Frederick Wiseman portent de plus en plus souvent le nom des lieux où ils sont filmés (In Jackson Heights, At Berkeley…jusqu’au dernier: Monrovia Indiana), et pourtant sur les 4h30 de City Hall, beaucoup de scènes sont en réalité filmées en dehors de l’hôtel de ville de Boston. Car ce que Wiseman dévoile, c’est moins la géographie d’un lieu que sa construction sociale, c’est à dire son organisation, ses hiérarchies, ses réseaux. Pour cela, la caméra de Wiseman ne peut pas rester entre les quatre murs du bâtiment de la mairie, car le travail de l’équipe du maire et de son équipe s’étend à toute la ville.

Boston est la ville natale de Wiseman. Il la filme avec une bienveillance parfois proche du regard d’enfant émerveillé (comment les camions de la voirie aménagent-ils une nouvelle piste cyclable?), mais sans complaisance non plus. Martin J. Walsh, maire démocrate ici au centre de l’action et du champs de la caméra, en est à la fin de son second et dernier mandant – on ne peut pas accuser le cinéaste de faire un tract de campagne électorale, ni une carte postale. Entre les citoyens et leur maire, comment se bâtit la démocratie au quotidien ? Le film va et vient entre les discours en costumes et cravates et l’action concrète dans les rues, mais sans les mettre en opposition, car à chaque fois il n’est question avant tout que d’un seul mot : la communauté.

Comment concrètement « faire communauté » dans une ville dont 55% des habitants sont racisés, et dont 27% sont nés à l’étranger ? Wiseman filme les manches retroussées de toute une cité, et le vivre ensemble s’exprime de bien des manières, qu’il s’agisse de cours de cuisine exotique ou d’une opération humanitaire au son de 2 Unlimited. Au tout début du film, les discours prononcés lors d’un mariage lesbien sonnent d’ailleurs comme une déclaration d’intention pour unir tous les habitants en une même famille. Mais au-delà des touches d’humour habituelles du cinéaste, City Hall n’est pas une utopie naïve. Aussi ironique qu’elle paraisse en ouverture, la toute première phrase du film (« Quel est la raison de votre appel d’urgence? ») résonne peu à peu de façon plus grave.

Avant l’entraide, il y a un besoin d’aide. Il y a des situations dures, graves, amères. Chaque habitant hérite malgré lui d’une situation sociale complexe. Sans aucun recours au commentaire ou à la voix off, City Hall montre que les inégalités, la violence et les injustices ne sont pas des accidents, elles sont le résultats de décisions politiques, de décennies de décisions politiques. Celles des maires, des citoyens, mais aussi des présidents, dont les ambitions guerrières ont encore des conséquences très concrètes.

On en revient à l’idée que Wiseman ne filme pas la géographie : en filigrane, il filme surtout l’Histoire. Comment hérite-t-on d’un Histoire violente ? Comment la soigne-t-on ? Comment se rebelle-t-on contre ? Comment s’en accommode-t-on ? Boston est ce qui se rapproche le plus d’une ville ancienne et historique aux Etats-Unis. C’est le lieu idéal pour montrer que l’Histoire est la clé du présent. Le City Hall de Wiseman n’est pas seulement le hall d’accueil symbolique et imaginaire de tous les habitants de la ville, c’est aussi un musée sur un héritage commun. Dans les deux cas, il s’agit d’un passionnant portrait politique.


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par Nicolas Bardot

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