TIFF 2023 | Critique : Bread and Salt

Tymoteusz, pianiste et étudiant à l’Académie de musique de Varsovie, retourne dans sa ville natale pour les vacances. Il retrouve ses amis et son frère Jacek, également pianiste mais qui n’a pas été admis au conservatoire. Il leur apprend qu’il a reçu une bourse d’études pour continuer d’étudier à l’étranger.

Bread and Salt
Pologne, 2022
De Damian Kocur

Durée : 1h38

Sortie : –

Note :

LA DÉSINTÉGRATION

C’est les vacances mais ça ne saute pas aux yeux. Non pas qu’il fasse moche, mais le coin de banlieue où se déroule Bread and Salt ressemble au genre d’endroit frappé en permanence par une telle chappe d’ennui qu’on n’y distingue pas vraiment les jours ouvrés des autres. L’horizon y est bouché par les immenses immeubles à l’aride architecture post-communiste, comme une cité-dortoir sans porte de sortie. Tymoteusz a pourtant réussi à aller voir ailleurs, son talent de pianiste lui ayant valu une admission au conservatoire dans ce qu’on devine être une ville plus grande et plus cosmopolite. Au moment où débute le film, il retrouve son frère et leur bande d’amis, qui n’ont pas eu beaucoup d’autres choix que de continuer à trainer dans les rues et les kebabs.

Leur indolente adolescence, l’ennui qui se transforme en provocation, cette mentalité de caïds des parkings, tout cela est partout pareil et on se demande un temps si Bread and Salt, inspiré d’événements réels et interprétés par des non-professionnels, va nous montrer autre chose que du déjà vu. La réponse ne se fait pas attendre mais elle ne vient pas tant du récit que de la mise en image. Le travail conjoint de la mise en scène de Damian Kocur (dont c’est le premier long métrage) et du chef opérateur Tomasz Wozniczka (Essential Killing, Bruegel, le moulin et la croix…) offre à la photo de Bread and Salt un relief remarquable. Le format presque carré de l’image donne l’impression que les bords de l’image se rapprochent progressivement, créant une prison autour du protagoniste, et la manière discrète mais puissante qu’a la film de jouer avec le flou au premier ou au second plan vient intégrer ou « désintégrer » les personnages de leur environnement, de leurs interlocuteurs.

Il est beaucoup question d’intégration dans Bread and Salt (celle du protagoniste, mais aussi celle des immigrés arabes gérant le kebab où trainent sa bande de potes), et cette question est ici liée à celle de la fraternité. Les gamins improvisent des raps en s’appelant « bro », en se vantant d’apprendre la vie à son petit frère dans une posture d’orgueil en toc, mais dans la vraie vie, les frères ne possèdent pas plus de mode d’emploi que les autres. Ceux qui devraient servir de modèle sont démissionnaires ou absents (dans la scène qui ouvre le film, « c’est pour mon frère » est même une excuse qui ne trompe personne).

Dans ce décor qui pourrait se situer partout en Europe, cette métaphore fraternelle est ouvertement politique. La mélodie symbole de l’Union Européenne (L’Hymne à la joie) y est d’ailleurs péniblement balbutiée au piano. Dans ce qui est le contraire de la fraternité, c’est au contraire une masculinité sans ouverture qui s’impose péniblement dans l’espace publique. Outre la photo, c’est alors la place laissée au silence qui vient redonner de la singularité à ce constat. Le silence de Tymoteusz est ambigu : tantôt complice face à sa bande de potes racistes, tantôt plein d’espoir dans les sous-entendus qui le lient à son petit frère ou, plus encore, à l’un des immigrés victime d’agressions. Doté de ses qualités propre, Bread and Salt devient alors également un bon compagnon de visionnage à Burning Days d’Emin Alper, car les deux films font le portrait amer de la violence propre à un trop grand respect d’une masculinité traditionnelle, et offrent des portes de sortie.

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par Gregory Coutaut

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