Critique : Blue Jean

1988, l’Angleterre de Thatcher. Jean, professeure d’éducation physique homosexuelle, mène une double vie depuis le vote d’une loi stigmatisant la communauté gay.C’est sans compter sur l’arrivée d’une nouvelle étudiante qui menace de révéler son secret. Jean est contrainte de bouleverser sa vie pour éviter de tout perdre.

Blue Jean
Royaume-Uni, 2022
De Georgia Oakley

Durée : 1h37

Sortie : 19/04/2023

Note :

LE PERSONNEL EST POLITIQUE

A voir Jean marcher dans les couloirs du lycée, avec ses cheveux teints, son look passe-partout et ses yeux aux aguets, il n’est pas immédiatement clair s’il s’agit d’une élève ou d’une prof. Cette ambiguïté est tout d’abord celle du physique de l’excellente actrice Rosy McEwen, dont l’étonnant visage sans âge faisait déjà merveille dans le récent Vesper Chronicles. C’est aussi bien sûr une question d’écriture. Jean est bel et bien prof (de sport), autant dire qu’elle est censée guider le adolescents sur leurs premiers pas vers leur vie d’adulte. Elle a un boulot, des amis, une vie active… on dirait bien qu’elle a tout et pourtant on sent à ses regards vifs qu’un rien pourrait suffire à la faire basculer.

Ce rien n’est pas anodin car l’action se déroule au Royaume-Uni en 1988, et la loi dite section 88 la contraint à maintenir secrète son orientation sexuelle, sous peine de perdre son emploi. Chez elle, sur son canapé où elle lit Radclyffe Hall ou bien autour du billard avec ses copines lesbiennes, Jean s’épanouit avant tout dans des endroits ombragés, quasiment dans un placard bien confortable. Au lycée, les lumières sont au contraire particulièrement crues (le travail réussi sur les contrastes de la photo est à souligner). Jean n’a pas le loisir de porter les blousons de cuir à triangles roses que sa copine butch aborde fièrement (les costumes sont un autre réussite du film, des t-shirts The Slits aux tenues de sport informes pour ados). Jean n’a pas non plus le loisir de fuir les remarques de ses collègues ou les voix des vieux politiciens à la radio qui s’octroient le droit de débattre de sa vie et sa dignité. Le slogan politique de l’époque l’invite à résister fièrement au régime de la honte, mais ça fait quand même pas mal de couleuvres à avaler.

Jean ne peut pas fuir non plus les regards des élèves, mais elle sait gérer sans problèmes les fortes têtes, y compris les homophobes en devenir. Jean a tellement l’habitude de se défendre que lorsqu’elle croise Lois, une de ses nouvelles élèves (Lucy Halliday, parfaite au moment de retranscrire un mélange bizarre de maladresse et de fierté) dans le bar lesbien où elle traine habituellement, elle ne sait plus comment réagir. La bonne idée de Blue Jean est que le rapport ambigu qui se noue dès lors entre les deux protagonistes n’est ni sexuel ni amoureux. Lois n’a besoin de rien, mais pourrait grandement bénéficier d’avoir un modèle lesbien positif dans sa vie pour contrebalancer le morne horizon de l’Angleterre de Tchatcher. Et si Jean panique, c’est justement parce qu’elle se sent incapable d’assumer ce rôle-là, d’être vue comme elle est à la lumière du jour.

La trame narrative de Blue Jean suit un déroulé somme toute classique, à ce détail près que ce récit d’apprentissage est celui d’une adulte et non de l’ado qu’elle a en face d’elle. La réalisatrice Georgia Oakley (lire notre entretien) cite Kelly Reichardt et Chantal Akerman et comme ces dernières, elle sait utiliser des cadres narratifs traditionnels pour parler de subversion politique sans en avoir l’air. On connait en effet beaucoup de films queer où il est question de s’assumer soi-même, mais combien d’entre eux se demandent comment assumer la place politique qu’il nous est impartie? Blue Jean aborde avec tact et acuité une question fondamentale et pourtant très rarement traitée dans le cinéma queer : celle de la transmission (de savoir, de vécu, d’Histoire…) de génération en génération. Cette leçon, Blue Jean l’aborde avec beaucoup de douceur, comme une histoire poignante racontée en confidence, portée par une remarquable comédienne. Après tout, un autre slogan propre aux luttes sociales ne dit-il pas que le personnel est politique ?

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article