Festival CPH:DOX | Critique : Alreadymade

Est-ce que c’est censé être de l’art ? L’urinoir de Marcel Duchamp est devenu l’œuvre d’art la plus influente du XXe siècle, mais est-ce une femme qui en a eu l’idée en premier ?

Alreadymade
Pays-Bas, 2023
De Barbara Visser

Durée : 1h26

Sortie : –

Note :

LA FEMME INVISIBLE

Certains documentaires prennent pour point de départ une énigme, une absence de réponse. Alreadymade fait pour ainsi dire l’inverse puisque tout commence par l’une des œuvres d’art les plus mondialement célèbres du XXe siècle : Fontaine, le célèbre urinoir de Marcel Duchamp. Reproduite et référencée à l’infini, cette sculpture continue d’attirer les qualificatifs les plus extrêmes. Arnaque ou choc sismique, Fontaine est aujourd’hui considérée comme une oeuvre charnière ayant fait basculer le monde de l’art moderne à l’art contemporain, rien que ça. Mais après tout, comme le démontrent les mille et uns petits extraits de video, conférences, entretiens et autres exposés combinés ici : que n’a-t-on pas déjà dit sur cet urinoir ?

Avec une modestie qui n’empêche ni l’allant ni l’humour, la réalisatrice néerlandaise Barbara Visser répond à cette question. Ce qui n’a pas encore été révélé ? Le principal, tout simplement. A savoir que Duchamp n’est probablement pas l’auteur de Fontaine et qu’il aurait en réalité volé l’œuvre et son concept originellement féministe à une mystérieuse femme aujourd’hui quasi-oubliée : la baronne Elsa von Freytag-Loringhoven, une poétesse drag king provocatrice, du genre à porter des cônes glacés en guise de boucles d’oreille. Visser ne prétend par avoir déniché elle-même cette thèse déjà partagée par beaucoup : Alreadymade vient plutôt documenter les différents travaux (on devrait plutôt parler de tentatives) de réhabilitation de cette énième victime d’éviction de la part d’un club de mecs. Car l’art contemporain n’échappe pas aux habituelles dynamiques misogynes : d’abord dénigrer, puis exclure, s’approprier et enfin effacer.

Mais Alreadymade ne se contente pas de vouloir faire constat. La réalisatrice met elle aussi les mains dans l’argile et invente le portrait de cette femme invisible, en utilisant plein d’outils tournés vers le présent plutôt que le passé: logiciel 3D, casting vidéo et autres artifices. Visser fait en quelque sorte l’inverse d’un readymade à la Duchamp : en se basant sur de très maigres infos, elle monte une sorte de puzzle ludique, contemporain et multilingue, quitte à tourner un peu en rond faute de point réellement final. Alreadymade a beau perdre un peu de son souffle, ce doc qui file à vive allure pose de passionnantes questions sur ce qui compose et pérennise une Histoire toute récente : celle de l’art contemporain. Sans doute que là encore, ce qu l’on considère comme l’Histoire officielle n’est en fait que la version des faits dictée par ceux qui en sont sortis gagnants.

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par Gregory Coutaut

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