Festival New Directors/New Films | Critique : Almost Entirely a Slight Disaster

Dans l’Istanbul d’aujourd’hui, un petit groupe de trentenaires cherchent l’amour, l’amitié et la stabilité financière sans vraiment avoir de but. 

Almost Entirely a Slight Disaster
Turquiz, 2023
De Umut Subasi

Durée : 1h28

Sortie : –

Note :

L’IMPASSE

« Istanbul est une bien belle ville » dit l’un des personnages d’Almost Entirely a Slight Disaster lors d’une banale conversation. De la ville turque, nous ne verrons pourtant strictement rien. le premier long métrage du cinéaste Umut Subasi se déroule en effet quasi-intégralement en espaces clos : dans des appartements dont on peine à payer le loyer, dans des cafés anonymes peu propices aux échanges profonds, ou au mieux face à des vitrines de magasins fermés. Le film débute pourtant par un plan fixe d’une promenade en bord de mer. Furtive, l’image revient à plusieurs reprises à travers le long métrage, mais ce que l’on prenait tout d’abord pour une respiration vient au contraire enfoncer le bouchon anxiogène : bouché par des montagnes au loin (s’agit-il d’un lac ou d’une simple vue du Bosphore?), cet horizon-là se révèle également sans issue.

Jeunes adultes de la classe moyenne, les quatre protagonistes de cette comédie dépressive ne se connaissent pas encore mais partagent la même galère : celle d’un manque de perspective au sens propre et figuré. L’un quitte son appartement conjugal dès qu’il le peut en prétextant de faux voyages d’affaire, l’une cherche une réponse dans l’astrologie et les tests de personnalité en ligne, un autre ne voit que la loterie comme moyen de faire fortune… tous prétendent maitriser leur quotidien mais s’effondrent en larmes et en cachette à la moindre contrariété. Cela pourrait être tragique, et ça l’est, mais c’est surtout le meilleur gag récurrent du film : les scènes les plus dramatiques se retrouvent soudain coupées par des visions fugaces des protagonistes en train de chouiner comme des bébés, soulignées par un petit air de piano primesautier.

La métaphore filée du cul-de-sac se voit aussi bien dans l’écriture (des dialogues pince-sans-rire tels que « Je n’aime pas trop réfléchir, je préfère fuir ») que dans la mise en scène (des plans souvent fixes qui viennent isoler les personnages dans le décor, même quand ils sont à deux), et se retrouve encore soulignée par les acteurs qui traversent le film avec un visage impassible (pas un sourire à signaler dans tout le long métrage). Le formule est efficace mais n’y va pas avec le dos de la cuillère et n’évite pas non plus les répétitions, quitte à faire passer le spectateur de l’amusement à l’épreuve, parfois à l’intérieur-même de la même séquence. Le long métrage semble alors lui-même s’engager dans une impasse, mais il avance au contraire vers un malaise plus radical que prévu.

Almost Entirely a Slight Disaster est-il un film particulièrement méchant ou particulièrement pessimiste ? Difficile de trancher, mais le rire s’y fait de plus en plus jaune et le jusqu’au-boutisme du désespoir qui pèse sur les épaules des personnages finit par donner à l’ensemble le relief aigu et violent d’une parabole politique. En arrière-plan des discussions les plus triviales se dessinent progressivement des angoisses bien réelles : confiance dans les média, chômage, avenir international de la Turquie, etc. Ce qu’Umut Subasi filme ici de son propre pays, c’est une génération désenchantée et livrée à elle-même pour de bon. Il n’y a pas de quoi rire et pourtant, jusqu’au bout et jusqu’à une dernière scène cinglante et absurde à souhait, le cinéaste interroge notre besoin de chercher l’humour dans les recoins les plus sombres.

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par Gregory Coutaut

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