Déléguée générale de la Semaine de la critique, Ava Cahen nous présente la sélection des longs et courts métrages qui composent cette 62e édition, qui commence ce 17 mai et qui sera à suivre en direct sur Le Polyester.
Le succès de la précédente édition de la Semaine de la critique est allé jusqu’aux nominations aux Oscar pour Aftersun et Ice Merchants. De votre coté, quelle bilan tirez-vous de l’édition 2022 ?
C’est vrai qu’ici à la Semaine nous avons l’impression que c’est une sélection qui a fait de l’effet, même si c’est forcément quelque chose qu’on ne peut remarquer qu’après coup. Notre plus belle victoire c’est de voir les films voyager dans d’autres festivals et avoir une vie véritable, voir les auteurs rencontrer le reste de l’industrie, y compris en dehors de Cannes. Parmi les films de l’édition 2022 qui ont bien marché, on peut citer Aftersun mais aussi Tout le monde aime Jeanne, les deux ayant fait plus de 150 000 entrées. Quant à About Kim SoHee, il est sorti il y a quelques semaines et vient déjà de passer la barre des 50 000 entrées. On remarque globalement qu’il y a un véritable appétit pour les premiers ou seconds longs métrages, pour une diversité de registres, de sujets abordés. Tout ça, ce sont des bons signaux et de bons lauriers.
Vous parlez d’éclectisme et c’est effectivement la sensation qui prime à la découverte de la sélection de cette année aussi. Pouvez-vous nous y dire plus sur la présence notamment du cinéma de genre ?
Cela dépend beaucoup des films que l’on reçoit, bien sûr. En cela, chaque année est différente car nous ne partons jamais avec un leitmotiv en tête. C’est vrai qu’il y a un amour du cinéma de genre à la Semaine de la Critique, ce depuis toujours et jusque dans les éditions récentes avec les films de Yann Gonzalez et Julia Ducournau. Ce sont des registres auxquels nous sommes sensibles. Cette année, les premiers films sont pour la plupart des récits d’apprentissage, on y voit et découvre le monde à travers les yeux de personnes adolescentes ou d’enfants, et le fantastique peut souvent s’inviter dans ce regard-là. La preuve, c’est que nous avons reçu cette année beaucoup de films de genre en provenance du monde entier, et si on a les sélectionnés, c’est qu’ils nous plaisaient bien sûr.
La sélection des courts métrages semble obéir à un même désir cinéphile, leur sélection s’opère-t-elle de la même manière que pour les longs ?
A la Semaine de la critique nous avons deux comités distincts. Nous sommes 6 membres dans le comité des longs métrages et 4 dans le comité des courts, ce dernier étant chapeauté par la coordinatrice Marie-Pauline Mollaret, qui travaille par ailleurs au Festival d’Annecy. Il n’empêche que, courts comme longs, nous travaillons ensemble autour de chaque film. Bien sûr c’est moi qui fais les choix mais c’est un véritable travail collectif avec beaucoup de concertations. Les longs et les courts ont pour nous la même dimension, nous les chérissons tous de la même manière.
Nous avons d’ailleurs créé l’atelier Next Step qui accompagne les courtmétragistes dans leur projet de long et les accompagne dans leurs rencontres avec des professionnels de l’industrie afin qu’ils puissent bénéficier de leurs conseils. S’intéresser aux courts, c’est s’intéresser à l’avenir, c’est un champ de découverte passionnant et effectivement le résultat est très éclectique avec de la fiction traditionnelle, du documentaire, de l’animation et des films qui nous viennent des quatre coins du monde.
En effet, parmi la sélection 2023 on remarque notamment la présence de certains pays très rarement présents en festival, tels que la Jordanie ou la Malaisie.
Tout à fait, ce sont des tendances géographiques que nous avons observées et qui nous ont réjouis. Nous avons remarqué la grande forme du continent asiatique, et peut-être en particulier de l’Asie du sud-est : la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, etc. Ce sont des régions où, ces dernières années, la circulation des films a beaucoup souffert du Covid, du confinement et de circonstances géopolitiques. Il est très réjouissant que ce ne soit plus le cas. Le film malais Tiger Stripes possède par exemple une énergie dingue, située quelque part entre le cinéma de Julia Ducournau et Tropical Malady d’Apichatpong Weerasethakul. C’est une forme de cinéma qui nous a vraiment emballés et que nous avons très envie de défendre.
Comment avez-vous composé le jury de cette année ?
Avec le cœur, comme toujours, et comme pour les films que nous sélectionnons. Comme nous présentons des premiers ou des seconds films, nous attendons du jury une forme de plaisir et de gourmandise, il faut avoir envie de faire des découvertes. A chaque fois que je lisais des entretiens d’Audrey Diwan, je sentais cette curiosité en elle. C’est une cinéaste que j’admire et qui a par ailleurs été critique de cinéma, ce qui n’est pas rien. Comme notre comité de sélection est lui-même composé de critiques, la boucle est bouclée ! Franz Rogowski est un acteur que je suis depuis plusieurs années et qui m’a particulièrement tapé dans l’œil dans les films Great Freedom et Disco Boy.
Je suis ravie que nous ayons le chef-opérateur Rui Poças dans le jury car c’est un métier merveilleux, et puis c’est un clin d’œil au fait qu’il avait signé la photo d’Alma Viva qui était en compétition chez nous l’an dernier. Je tenais également à ce que le jury comprenne des profils plus axés vers l’industrie, d’où la présence de la journaliste et curatrice indienne Meenakshi Shedde et de Kim Yutani du Festival de Sundance. Cette année nous n’avons pas sélectionné de film présenté en première mondiale à Sundance, contrairement à l’an dernier où nous avions ouvert avec When You Finish Saving the World de Jesse Eisenberg, mais cela n’empêche pas que j’ai beaucoup d’affection pour le cinéma américain.
Pouvez-vous nous donner quelques détails d’avance sur les différents films queer de votre sélection ?
Ah, merci de poser la question du queer, c’est formidable (rires). J’ai longtemps travaillé à la Queer Palm et ce sont des sujets qui m’importent. Il y a le long métrage brésilien Levante, qui suit le parcours d’une jeune joueuse de volley qui s’apprête à passer professionnelle lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte. Cette grossesse, elle n’en veut pas mais au Brésil l’avortement n’est pas légal. On suit donc son parcours dans un contexte ultra conservateur, et son entourage va faire corps commun pour l’aider. C’est un film qui brosse le portrait de la communauté queer à travers des joueuses lesbiennes ou trans, et je suis ravie qu’il soit en compétition pour la Queer Palm.
Nous avons par ailleurs deux courts métrages queer. Boléro de Nans Laborde-Jourdàa suit le parcours d’un danseur à travers le plaisir et l’eros. Stranger de Jenny Beth et Iris Chassaigne, dans lequel Jenny Beth joue aux côtés d’Agathe Roussel, l’héroïne de Titane. C’est un grand film queer musical qui joue avec les codes du thriller érotique avec un affrontement brune/blonde à la Lynch. A chaque fois nous essayons de ne pas nous laisser tenter par des sujets, ce qui prime c’est comment les cinéastes transcendent leur sujet par la mise en scène.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 26 avril 2023. Merci à Dany de Seille.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |