Critique : Le Mal n’existe pas

Takumi et sa fille Hana vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Comme leurs aînés avant eux, ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Le projet de construction d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément la vie de Takumi et des villageois…

Le Mal n’existe pas
Japon, 2023
De Ryusuke Hamaguchi

Durée : 1h46

Sortie : 10/04/2024

Note :

VAGUES INVISIBLES

La caméra, lors des premiers instants du Mal n’existe pas, est tournée vers le ciel. La lumière est claire mais pourtant les branches entremêlées composent un dessin qui trace comme un grillage. Dissimulé quelque part, le mal n’existe-t-il vraiment pas ? La question dans le nouveau film du Japonais Ryusuke Hamaguchi, Grand Prix à la dernière Mostra de Venise, se pose d’abord de manière beaucoup plus terre-à-terre. Un projet de glamping (un nouveau type de camping, version luxe) est en marche dans un coin rural du Japon. La longue scène centrale où les responsables du projet rencontrent des habitants hostiles ressemble à un reflet inversé de la longue scène de l’atelier dans Senses. Dans ce dernier, on pouvait éprouver avec une douceur pénétrante la symbiose entre les personnages qui se rencontrent. Dans Le Mal…, l’échange est un faux échange et s’apparente avant tout à un rapport de force.

Dès lors se posent les questions qui parcourent toute la filmographie d’Hamaguchi : comment choisit-on de vivre – et plus particulièrement de vivre ensemble ? Qu’est-ce qui nous lie – ou ici, qu’est-ce qui rompt l’équilibre ? Comment exprime-t-on ses sentiments dans la société ? On contemple beaucoup la nature dans Le Mal n’existe pas : le ciel comme on l’a dit, les arbres, la neige, la lune. Ce n’est pas par coquetterie : la façon dont on choisit de vivre dans un environnement donné est l’un des motifs centraux du film. Des brumes enveloppantes s’élèvent. On pratique des activités silencieuses au cœur des bois. Un personnage est suivi lors d’un travelling latéral, semble avalé par la nature, la caméra le perd dans la neige, puis le retrouve. L’opposition entre les êtres dans Le Mal n’existe pas ne peut pas mettre de côté l’importance fondamentale de leur environnement.

On parle de rapport de force et d’opposition, néanmoins Ryusuke Hamaguchi parvient avec la grande finesse qui le caractérise à déjouer le manichéisme. Tout est plus trouble et mouvant dans Le Mal n’existe pas. Le long métrage dépeint un chemin vers un effort commun. Mais le film, de toute façon, ne s’intéresse pas qu’à une simple question de construction (ou non) de camping. L’épure narrative met en valeur l’étrangeté de l’existence et des rapports. En apparence plus simple que ses autres films, Le Mal n’existe pas est peut-être le plus mystérieux. Une carcasse d’animal est trouvée ici, les coups de feu d’une chasse qu’on ne voit pas sont entendus au loin. Et puis, évidemment, ce décrochage final. Le portrait proposé par Hamaguchi est complexe et jamais trop lisible – quitte parfois à manquer de la chaleur humaine qui finit par percer dans ses meilleurs films.

Mais le brillant exercice du Mal… est gratifiant. La durée des scènes oblige à chercher des enjeux qui parfois ne sont pas évidents. Qui est le ou la protagoniste principal.e ? L’écriture du cinéaste nous implique dans cet étrange récit, nous invite à regarder avec davantage de sensibilité. Comme la musique remarquable, composée par Eiko Ishibashi, et qui était tout simplement à l’origine de ce projet. Une musique en contrepoint ; celle-ci semble toujours suggérer qu’il y a quelque chose d’indicible derrière les images que l’on croit voir très nettement.

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par Nicolas Bardot

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