Festival des 3 Continents 2024 : notre bilan

La 46e édition du Festival des 3 Continents s’est achevée ce week-end. A l’heure où l’avenir de la manifestation est (comme pour tout le secteur de la culture en Région Pays de Loire) menacé par d’importantes coupes budgétaires, il nous a paru important de rappeler l’évidence, à savoir le travail cinéphile rare et précieux organisé par le festival depuis des années. Jérôme Baron, directeur artistique du festival nous présente les rétrospectives de cette édition. 


Super Happy Forever

Cette année aux 3 Continents il y avait un peu moins de films récents que d’habitude, mais cela ne s’est pas pour autant traduit par une baisse de qualité. Outre de jolies découvertes telles Kouté vwa de Maxime Jean-Baptiste (lire notre entretien) ou Hearth and Home de Prabhash Chandra, notre principal coup de cœur fut le Japonais Super Happy Forever dont l’approche du deuil et de la dépression s’est avérée étonnamment élégante et même charmante. Pour le reste, ce sont surtout les œuvres documentaires qui nous ont tapé dans l’œil. Rising Up at Night (lire notre entretien avec Nelson Makengo), Nocturnes, Le Retour du projectionniste, auxquels on peut ajouter Black Box, présenté en ouverture. En enjambant régulièrement les frontières entre doc et fiction, la compétition internationale a su une fois encore tisser un panorama mondial mettant en lumière des territoires rares, du Vietnam au Cap-Vert en passant par l’Azerbaïdjan. Mais s’il y eut un pays star lors de cette édition, ce fut l’Inde : doublement présente en compétition et doublement célébrée à travers les rétrospectives et programmes hommages.


Le Vagabond

A nos yeux, ce qui distingue avant tout le Festival des 3 Continents, c’est la place de choix donnée à un cinéma de patrimoine sortant des sentiers battus. Même lorsque le festival rend hommage à de grands noms comme c’était le cas cette année, il nous permet de découvrir sur grand écran des films parfois inédits, des œuvres parfois projetées pour la première fois hors de leur pays d’origine, mais aussi des films dont les copies ont parfois été perdues pendant des décennies. Cela témoigne chaque année d’un travail de recherche pharaonique et passionné. Or, cette chasse au trésor public à la fois très sérieuse et enthousiasmante ne date pas d’hier, comme nous le rappelle Jérôme Baron, directeur artistique du festival : « En ce qui concerne l’origine de l’hommage rendu cette année à Raj Kapoor  : c’était difficile de passer à côté de son centenaire mais surtout, il y a 40 ans près jour pour jour, il était présent à Nantes, pour la toute première rétrospective à lui être dédiée en Europe ». Anniversaire similaire du côté de l’autre grande rétro indienne de cette édition, consacrée à l’actrice Shabana Azmi, qui fête cette année ces 50 ans de carrière. 


Market Place

Ces deux rétrospectives ont permis de remonter le temps à travers l’Histoire du cinéma indien, comme l’explique Jérôme Baron. « Raj Kapoor n’est pas seulement le greatest showman qu’on disait. C’est le premier héros populaire dont le pays, récemment indépendant, avait besoin. L’Inde c’est un pays qui parle 56 langues, qui fait des cinémas très différents, il n’y avait pas de récit national ou de héros national. C’est cela qu’il a  incarné à l’écran, et ce n’est pas un hasard s’il est devenu l’idole du pays. Le jour où il est décédé, tous les cinémas du pays ont fermé. Il n’y a pas beaucoup d’équivalents dans l’Histoire du cinéma mondial. Par exemple, Le Vagabond a eu 120 millions de spectateurs en Chine, 180 millions en Russie, en Inde le film est resté à l’affiche pendant une décennie. Il y a peu de films au tournant des années 50, cinéma américain compris, ayant eu un rayonnement aussi planétaire que les films de Raj Kapoor. On devrait donc y avoir accès de façon aussi simple et naturelle que les films de Capra par exemple, mais ce n’est pas le cas ». La gigantesque carrière de Shabana Azmi (160 films !) n’est pas moins impressionnante. « Elle a  vraiment incarné toutes les transformations du cinéma indien entre les années 70 et le milieu des années 90. Elle a prêté son visage à toutes les conditions, toutes les castes, elle a incarné toutes les femmes indiennes, on peut donc aussi raconter une partie de l’histoire du cinéma indien à travers elle ».


The Lunatics

Les 3 Continents proposait également une rétrospective étonnante et inattendue au cinéaste hongkongais Derek Yee, dont l’oeuvre nous a charmé par sa manière de jongler avec les registres (de la romcom à la baston) parfois à l’intérieur du même film : film social et thriller sanglant dans The Lunatics, film de braquage et comédie chorale bouffonne dans People’s Hero. Du vrai cinéma de genres, au pluriel, à la fois populaire et personnel. Jérôme Baron l’évoque en ces termes : « Il y a des cinéastes qui se plaignent d’avoir à tourner des polars ou des mélos, mais les très grands cinéastes ne s’en plaignent jamais. Ils savent que le genre n’est pas un carcan mais une boîte à outils. Derek Yee a débuté en tant qu’acteur dans des films de sabre et de kung-fu pour la Shaw Brothers et par la suite il a toujours refusé de s’enfermer. Il a réalisé ses propres films pour y faire rentrer tout le Hong Kong qu’il ne voyait pas représenté dans ses films d’acteur. C’est le seul à faire le trait d’union entre trois générations du cinéma hongkongais, il reste en contact avec le Hong Kong d’aujourd’hui dans les films de jeunes réalisateurs qu’il produit et cela en fait une figure insoumise ».


La Machine avalée

En complément des ces trois rétros, le festival a proposé une programmation thématique nommée Nous, cosmopolites, exceptionnellement constituée de films français (une première aux 3 Continents) et consacrée aux films mettant en scène la banlieue, de Jean-Luc Godard à Alice Diop. Confort ? Déclaration politique, plutôt. « Je ne sais pas trop ce que ça veut dire en fait, la banlieue » reprend le directeur. « En France, quand on dit banlieue, en général on désigne des territoires avec des populations qui sont plutôt fragilisées, mais à Nantes comme ailleurs, il y a des banlieues où les gens vivent plutôt au-dessus du niveau du moyen, voire bien au-dessus. On a terminé la programmation juste avant que Macron ne dissolve l’Assemblée nationale, tout un symbole. Ce travail nous a paru avoir une actualité encore plus grande après le résultat du premier tour, donc on a maintenu cette programmation. J’ai le sentiment que le cinéma français s’est beaucoup renouvelé autour de cette question des banlieues. Quand on voit ces films, on n’a aucun doute sur le fait que ce sont des films français, personne n’ira en douter, il y a donc une espèce de contradiction avec ce que la société semble vouloir renvoyer à travers ces élections. Qu’est-ce qui se passe dans la tête des gens ? Il y a du potage partout. Il n’y a pas grand-chose qu’on arrive à penser en ce moment et c’est un challenge particulier de faire une rétrospective. Enfin, ce n’est pas une rétrospective d’ailleurs, mais une température d’un cinéma contemporain »

>>> Notre couverture du Festival des 3 Continents

Entretien avec Jérôme Baron réalisé le 18 novembre 2024. Un grand merci à Florence Alexandre.

Gregory Coutaut

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