Entretien avec Yuan Qing

La Chinoise Yuan Qing signe avec 3 aventures de Brooke son premier long métrage. Découvert à la Mostra de Venise, ce film sous l’influence de Rohmer a été primé entre autres au Festival des 3 Continents. Il raconte (trois fois) l’histoire d’une jeune touriste chinoise en voyage en Malaisie et à qui il va arriver quelques aventures. Le résultat est d’un charme mélancolique fou, et est à découvrir en salles dès ce mercredi 15 mars. La réalisatrice a répondu à nos questions, accompagnée de Jinjing Zhu, son chef-opérateur.

Quel a été le point de départ de Three Adventures of Brooke ? Qu’est ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?

Yuan Qing : Au tout début, je voulais simplement raconter l’histoire d’une jeune fille en voyage à l’étranger, sans que la destination soit fixée ou même importante dans mon esprit. L’essentiel était qu’elle allait rencontrer des gens différents d’elle, et que chaque rencontre allait la faire évoluer et grandir. Voilà l’idée de départ.

Qu’est ce qui vous a finalement poussée à tourner en Malaisie ?

Yuan Qing : La Malaisie, et Alor Setar en particulier, sont des endroits très particuliers. Tout comme à Singapour, il y a une importante communauté chinoise là-bas. On y parle mandarin, on y apprend le mandarin à l’école, les panneaux dans la rue sont en mandarin, etc. Et puis il y a encore cette ambiance de village, tout le monde s’y connait, les gens y sont intimes. C’est ce que j’ai connu quand j’étais jeune à Pékin. Paradoxalement, et à ma grande surprise, alors même que j’étais très loin de la Chine, j’ai retrouvé le Pékin de mon enfance. C’est pour cette raison que j’ai choisi cet endroit.

Photo du film Three Adventures of Brooke, de la réalisatrice chinoise Yuan Qing, en compétition au Festival des 3 Continents

C’est quelque chose que vous n’auriez pas pu retrouver dans la Chine contemporaine ?

Yuan Qing : C’est cela. Bien sûr, l’essor économique dans la Chine d’aujourd’hui fait qu’il y a de meilleurs transports, des meilleurs logements. Tout comme Brooke, je ne dis pas que le développement économique est mauvais, et je ne veux pas faire de jugement moral. Je ne tranche pas. Mais dans la deuxième partie du film, Brooke dit qu’elle ne veut pas qu’Alor Setar soit rénové de la même manière que Pékin. En effet, les lieux emblématiques et historiques de Pékin ont certes été préservés mais perdus au milieu de quartiers modernes, ils ont finalement perdu leur âme. Pour moi, comme pour de nombreux habitants, ce ne sont tout simplement plus les mêmes lieux.

Les différentes parties du film possèdent chacune leur propre ton, leur propre atmosphère. Avez-vous envisagé des différences dans le traitement esthétique pour chacune d’entre elles ?

Jinjing Zhu : Oui, notamment en ce qui concerne les cadrages, et plus particulièrement l’apparition des personnages à l’écran. Dans la première partie, les deux filles évoluent toujours ensemble dans le cadre. Dans la deuxième partie, Brooke se greffe à un groupe mais elle s’en échappe régulièrement, on voulait la montrer comme à la périphérie de l’image, comme si elle pouvait toujours glisser en dehors du cadre. Dans la troisième, c’est tantôt Pierre qui suit Brooke, tantôt l’inverse. C’était amusant de définir qui devait être au centre de l’image. De plus, dans cette dernière partie, les prises sont plus longues, parce qu’on ne voulait pas couper le flux de leurs émotions et de leur parole.

Photo du film Three Adventures of Brooke, de la réalisatrice chinoise Yuan Qing, en compétition au Festival des 3 Continents

Comment avez-vous appréhendé ensemble le travail sur les couleurs, qui sont parfois si vives et saturées qu’elles en deviennent presque trop belles pour êtres vraies ?

Jinjing Zhu : Regardez des photos de Chine, visitez n’importe quelle ville d’Asie, et vous serez choqué par l’utilisation des couleurs. En Europe, vous ne portez pas beaucoup de couleurs vives, à part peut-être en Espagne. En France vous portez du marron, du gris, du noir, c’est du normcore (rires). En Asie, tout le monde arbore des couleur vives, et il y a un sens caché derrière l’utilisation de chaque couleur: un mélange de symboles, de traditions et de religion. Par exemple, si vous allez au marché, on vous donnera un sac en pastique jaune si vous êtes taoïste, rouge si vous êtes bouddhiste, blanc si vous êtes chrétien, etc. Or, en Malaisie, c’est encore plus compliqué! Et cela à  cause de leur mélange unique d’hindouisme, de taoïsme et de bouddhisme. Moi-même, bien qu’habitué aux couleurs de la Chine, arrivant à Malaisie, j’ai trouvé les couleurs complétement folles. Tout ce que j’ai fait, c’est de les retranscrire à l’écran.

Pascal Greggory nous racontait une anecdote intéressante sur Rohmer et les couleurs. Sur le tournage de Pauline à la plage, il donnait chaque jour un budget aux actrices pour qu’elles aillent s’acheter les vêtement qui leur plaisaient et qu’elles voudraient porter au moment de tourner. L’unique contrainte qu’il leur donnait, c’était la couleur: « dans telle scène tu porteras du bleu, et rien d’autre » par exemple. Il ne donnait jamais d’explication, mais il savait très bien ce qu’il faisait. Chez lui, les couleurs avaient leur rôle à jouer et dans notre film aussi.

Pascal Greggory dans Three Adventures of Brooke, de la réalisatrice chinoise Yuan Qing, en compétition au Festival des 3 Continents

Votre film fait souvent référence à Rohmer, et pas uniquement à cause du titre ou de la présence de Pascal Greggory. Quelle est votre relation à son cinéma ?

Yuan Qing : Quand j’avais vingt ans et que je m’intéressais déjà au cinéma à la fac, Rohmer faisait partie de la liste des auteurs dont il fallait absolument avoir vu des films, mais je dois dire qu’à cette époque, je n’étais pas encore très touchée par ses films. C’est en approchant de mes 30 ans que je suis retournée vers sa filmographie et je suis tombée amoureuse de son univers. Je me suis fait ma propre rétrospective et j’ai alors vu tous ses films. Je pense que les deux films qui m’ont le plus influencée pour Three Adventures of Brooke sont Le Rayon vert et Quatre aventures de Reinette et Mirabelle, qui est mon préféré dans toute son œuvre.

Three Adventures of Brooke a été à la fois mon apprentissage de cinéma et mon hommage à Rohmer, mais il ne m’a pas uniquement appris à faire un film, il m’a également appris comment vivre ma vie. C’est bel et bien mon mentor ! Rohmer est le modèle idéal à avoir quand on est un apprenti-cinéaste car il savait faire des films avec un budget et une équipe très réduite, c’est un héros !

Jinjing Zhu : Son équipe entière était composée de quatre personnes, qui faisaient un peu de tout sur le tournage, de la technique à la régie. A partir du moment où j’ai appris ses méthodes de travail uniques, il est devenu mon réalisateur préféré (rires). Sur notre tournage, nous avons nous-mêmes demandé à Pascal d’aider à la technique quand nous n’étions pas assez nombreux. Il a parfois dû déplacer la caméra lui-même, c’est vrai !

Justement, comment vous êtes vous retrouvée à travailler avec Pascal Greggory ?

Yuan Qing : Ce n’était pas du tout prévu! A la base, j’avais seulement en tête que ce personnage devait venir de l’étranger, sans pour autant être à tout prix français. C’est notre producteur exécutif, qui enseigne également à l’université de Pékin et qui est un ami de longue date de Pascal Greggory (ce que j’ignorais complètement) qui m’a proposé de lui passer le scénario. Pascal l’a lu et a tout de suite voulu faire partie du projet. Je n’en revenais pas, ça a été une surprise incroyable.

Jinjing Zhu : C’est mon acteur français préféré. En France vous avez beaucoup, beaucoup d’excellentes actrices, mais chez les acteurs, pour moi, il n’y en a qu’un : c’est lui. La plupart de acteurs de sa génération ne jouent plus, ou bien  jouent dans des choses inintéressantes, mais pas lui.

Photo du film Three Adventures of Brooke, de la réalisatrice chinoise Yuan Qing, en compétition au Festival des 3 Continents

Quelle est la dernière fois que vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent ?

Yuan Qing : Vous savez, en Chine continentale, on n’a pas souvent l’occasion de voir des films très récents. On est contraints d’avoir recours aux copies pirates, sinon il faut attendre de se déplacer dans des festivals étrangers, comme c’est le cas pour nous aujourd’hui. Nous voyons du cinéma d’auteur, mais avec un décalage parfois important. Le dernier film qui m’ait fait dire « je n’ai jamais vu ça », c’est un film français que j’ai découvert tout récemment bien qu’il soit déjà vieux : c’est La Cérémonie de Claude Chabrol.

Jinjing Zhu : J’ai vu récemment pour la première fois Le Château ambulant de Miyazaki. Sous des apparences de film d’aventures pour enfant, c’est un film au questionnement très brutal et même subversif. La question que pose le film c’est quand même « Est-ce que ça vaut le coup de rester en vie quand on est moche ? ». C’est très violent (rires) !

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 23 novembre 2018. Un grand merci à Florence Alexandre et Vanessa Fröchen.

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