Entretien avec Vinícius Lopes & Luciana Mazeto

Les Brésiliens Vinícius Lopes et Luciana Mazeto ont fait partie des nombreuses découvertes de la Berlinale 2020 avec leur film Irmã, qui sort ce mercredi 7 juillet. Ce long métrage inventif et mélancolique fait le récit d’apprentissage de deux sœurs tandis qu’un astéroïde se dirige droit sur la Terre. Vinícius Lopes et Luciana Mazeto sont nos invités nous parlent de ce film attachant et poétique.


Quel a été le point de départ de Irmã ?

Le film aborde plusieurs questions qui nous sont personnelles, telles que les relations familiales et le souvenir de grandir dans des familles divisées, avec des pères absents. Mais il aborde aussi un sentiment lié à notre pays, en 2016, qui était une période de turbulences politiques et sociales. Nous vivions à un moment pré-apocalyptique à cette époque. Le scénario a émergé quand nous avons imaginé deux sœurs aller à la campagne auprès de leur père, laissant derrière elles leur mère très malade. L’idée initiale était de les voir faire un voyage alors que le monde touche à sa fin. Après cela, l’astéroïde, les dinosaures et tous les éléments qui construisent le récit ont commencé à s’interconnecter. Est-ce la fin du monde ou le début d’un nouveau? Nous voulions raconter l’histoire d’un éventuel nouveau départ et de la fin de tout, de la permanence et du changement.

Il y a une dimension enchanteresse dans le style visuel d’Irmã. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce choix pour raconter une histoire qui peut être triste et sombre ?

Ces deux jeunes filles sont en mouvement, en voyage, instables dans leur vie. Le sentiment de perte et les retrouvailles dramatiques avec le père pourraient facilement nous conduire à un drame familial classique, traitant du fait de grandir et de la réconciliation générationnelle entre les filles et le père. Cela ne nous intéressait pas. Nous voulions que le film entre dans l’imaginaire de ces deux sœurs, et cet imaginaire serait la réalité du film. Par conséquent, le style visuel a été abordé d’une manière onirique, comme un va-et-vient du réalisme à la fantaisie, et en se concentrant sur le sentiment de suspension qui précède une catastrophe majeure.

L’histoire débute comme un road movie, mais nous avons rapidement commencé à jouer avec différents styles narratifs empruntés au cinéma ou à la télévision. Ce sont de petites expériences de langage cinématographique qui nous ont aidés à proposer une approche différente de ce drame familial, construit d’une manière plus lacunaire et axé sur les conséquences émotionnelles de cette histoire d’abandon. Nous sommes également très intéressés par la paléontologie qui a imprégné l’univers visuel du film, comme un fantasme du monde réel. Nous voulions travailler avec l’idée de cycles dans le temps, d’apocalypses antiques et nouveaux, en essayant de mélanger l’archéologie et les éléments de science-fiction dans une approche intime qui tienne de la fable.

Irmã semble en effet parler de choses intimes, à petite échelle, mais le film raconte également des vies qui s’apprête à changer à jamais, avec des protagonistes qui traversent des épreuves dramatiques. C’est la vie quotidienne d’adolescentes, c’est aussi l’histoire d’un astéroïde qui va frapper la planète. Pouvez-vous nous parler de votre processus d’écriture d’une histoire qui est « grande et petite » en même temps ?

Nous avons écrit le scénario en 2016, à une époque où le féminisme au Brésil et en Amérique Latine prenait une nouvelle forme, avec de nouvelles générations de femmes qui protestaient pour l’égalité et l’autonomie de leur corps. Dans ce film, nous avons utilisé tout cela comme base pour construire nos personnages. Ana, la sœur aînée, est une combattante, une représentation de cette génération contemporaine de femmes, qui connaissent leurs droits et ne s’inclinent pas devant les impositions sociales. Julia, la sœur cadette, est une utopie. Nous avons commencé à imaginer : comment serait une femme qui n’a jamais appris à avoir peur ? De quoi serait-elle capable ? Le film est chargé de ce sentiment d’un changement important et violent qui arrive.

Pour nos personnages, ce changement est la perte de leur mère et le père qui entre dans leur vie, en essayant de regagner le pouvoir sur elles ; quant au monde, il y a un astéroïde qui arrive et nous ne savons pas ce qui se passera quand il frappera. Nous voulions cette incertitude quant à l’avenir dans le récit, parce que c’était ce que nous ressentions à ce moment-là. C’est ce que vous ressentez à plusieurs reprises en grandissant et en découvrant comment on grandit. Nous voulions être proches de ces deux sœurs, entrer dans leur petit endroit privé et être là pendant que le monde entier autour d’elles s’effondre.

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Nous avons grandi et développé nos références en termes d’imaginaire en regardant le travail de cinéastes bien connus tels que Andreï Tarkovski, Ingmar Bergman, David Lynch, Hayao Miyazaki, M. Night Shyamalan et Apichatpong Weerasethakul, pour n’en nommer que quelques-uns. Ils nous ont certainement contaminés pour toujours. Mais au cours des dernières années, tout en écrivant les scénarios de nos premiers films, nous avons été très inspirés par le travail de Miguel Gomes, Kiyoshi Kurosawa, Park Chan-Wook et Vera Chytilová.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

Il y a eu des films très intéressants au cours des 2 ou 3 dernières années, mais nous aimerions citer avant tout le film en stop-motion chilien La Casa lobo de Joaquin Cocia et Cristobal Leon. La technique du stop-motion est impressionnante, mais ce n’est pas tout. La façon dont le film construit les personnages, le récit et l’atmosphère est quelque chose d’obsédant et très spécial, et il est resté en nous longtemps après le visionnage.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 28 avril 2020.

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