Festival Format Court | Entretien avec Vincent Tricon

Sami la fugue, réalisé par le Français Vincent Tricon, fait partie de la compétition du Festival Format Court. Ce film raconte l’histoire d’un jeune homme (interprété par Idir Azougli, vu notamment dans Shéhérazade, Stillwater ou L’Eté l’éternité), interné dans un centre psychiatrique et dont on va suivre l’échappée. C’est un portrait réalisé avec finesse, une fugue nocturne dans laquelle le cinéaste sait avec talent installer des respirations. Vincent Tricon est notre invité.


Quel a été le point de départ de Sami la fugue ?

Le film est basé sur une histoire vraie ; elle a été vécue par des proches. J’ai eu l’intuition qu’en faire un film, c’était parler de folie de manière poétique et que ça brisait pas mal de clichés sur la maladie mentale. 



Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre choix des lieux de tournage et votre façon de les filmer – je pense à ces zones pavillonnaires puis cette nature qui pendant l’échappée de Sami donnent un climat singulier au court métrage ?

Je voulais un film nocturne et enneigé, donc ça limitait géographiquement. Je voulais aussi tourner dans un vrai hôpital, pour ne pas tricher avec la représentation de l’univers psychiatrique. Le pôle psychiatrie du Granvallier, à Pontarlier dans le Jura, a bien voulu nous accueillir. Certains patients et soignants se sont pris au jeu, à tel point qu’on a improvisé des scènes avec eux. Pour moi c’était important de leur donner la parole, qu’il y ait leur point de vue dans le film, pas juste le mien. On a beaucoup travaillé avec Pierre Jouille, qui est un grand repéreur jurassien, et qui m’a fait découvrir une région que je ne connaissais pas.



Comment trouve-t-on le bon point de vue pour filmer un personnage tel que Sami ? Quelles questions vous êtes-vous posé au moment de l’écriture ?

Je me suis beaucoup documenté : dans des livres, dans des films et surtout dans la vie. Le film je l’ai écrit comme un conte, un truc assez poétique, presque chevaleresque et surtout très pudique, sans psychologie, juste avec des faits. La vraie question pour moi c’était comment faire le film pour qu’il soit mieux que le scénario. Parce que ça arrive que le scénario soit bien mais que le film soit moins bon. Donc le film s’est réécrit ou plutôt trouvé au tournage : on a quitté le conte et on est allés à fond dans le réel, avec l’acteur Idir Azougli qui s’est emparé du personnage. Moi j’ai dit ok, c’est Sami, maintenant avec l’équipe on va te suivre.

Il faut dire qu’on a passé du temps ensemble à l’hôpital, pour qu’Idir voie, ressente et comprenne, pour ne pas trahir. Quand on tournait dans l’hôpital, un patient le regardait jouer et m’a dit : « on dirait qu’il est vraiment sous médoc ». Là je me suis dit c’est bon, je ne vais pas trahir les gens concernés par la maladie, je vais pas les montrer mal. C’aurait été le pire truc pour moi, ça aurait rajouté du cliché, de la stigmatisation et de la souffrance à un endroit où il y en a déjà trop.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Pour Sami, y avait Wiseman et Depardon, Passe montagne de Stévenin. J’ai pas mal revu les peintures de Brueghel et réécouté en boucle les nocturnes de Chopin. 

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment, en regardant un film, de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

En fait c’est des « vieux » qui souvent m’impressionnent le plus : cette année Jerzy Skolimowski avec Eo qui m’a mis une claque. Il n’a peur de rien, je me dis que c’est super de vieillir. Qu’avec l’âge on devient plus libre, plus inventif, plus généreux aussi. Après il y a beaucoup de gens dont je monte les films que je trouve inventifs, qui apportent des choses originales, qui n’ont pas peur d’essayer. Je trouve qu’on a des générations qui décloisonnent et qui veulent faire des films exigeants, généreux et respectueux dans la manière d’être faits ensemble. C’est important d’avancer soudés, c’est plus facile de rester enthousiastes malgré tout.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 18 janvier 2023. Un grand merci à Cilia Gonzalez.

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