Entretien avec Tammie Brown

A l’occasion du mois des fiertés, Le Polyester est allé, des États-Unis à la Thaïlande en passant par la France, à la rencontre de drag queens qui nous ont parlé de leur rapport au cinéma et à ses icônes. Avant de mettre en ligne nos entretiens inédits, revenons sur celui de l’une de nos marraines, la géniale Tammie Brown, réalisé pour le lancement du Polyester en août dernier. Drag queen, metteuse en scène, scénariste, actrice et chanteuse à la fois… Tammie Brown est sans doute l’une des drag-queens les plus fantasques révélées par l’émission RuPaul’s Drag Race. Réalisatrice de courts métrages à l’ambiance camp et lynchienne à la fois, elle nous parle de ses influences artistiques, de John Waters au Vengaboys. C’mon Tammie, teleport us to Mars !

Les gens vous connaissent grâce à l’émission RuPaul’s Drag Race mais peu savent que vous écrivez, réalisez et interprétez vos propre courts-métrages (visibles pour certains sur sa chaîne Youtube).

J’ai toujours aimé le cinéma et la photographie. Avant même que les téléphones ne deviennent aussi pratiques, j’étais très intriguée par les minuscules caméra numériques. C’était cool, je filmais des petits bouts de ce que je voyais par-ci par-là. J’avais déjà tourné des clips pour mes chansons, mais si je suis passée aux courts métrages, c’est par passion pour le cinéma, et grâce à mon amie Bri Cirel. Elle est surréaliste, elle est folle. C’est mon âme sœur et ma sœur jumelle. Et comme j’adore également jouer, à la fois des rôles masculins et féminins, c’est elle qui réalise à ma place. Si vous écoutez bien, dans les différents films de la série The Love Secretary Saga, elle fait même une voix. J’ai actuellement un nouveau film en post-production, qui s’intitule Poolside Merengue, c’est un projet collectif et je déteste ça parce que c’est dur d’avoir tout le monde sur le même plateau au même moment.

La particularité de vos films est que vous et les autres comédiens faites en fait du lip-sync sur des bandes de dialogues pré-enregistrées. Pourquoi cette idée ?

Parce que j’adore l’effet rendu, mais aussi pour réduire le nombre de prises! Ma méthode est toujours la même: beaucoup de préparation en amont afin de ne tourner qu’une seule prise à chaque fois. Une seule prise pour garder la spontanéité, la folie. Je veux que ce soit fou et qu’on s’amuse !

L’univers de ces courts métrages est très particulier, à la fois absurde et volontairement artificiel. Quelles sont vos inspirations cinématographiques ?

Bruce LaBruce et John Waters avant tout, mais également Le Ballon rouge. J’ai aussi beaucoup pensé au drame anglais de 1961 A Taste of Honey, qui contient de très beaux moments de cinéma. Et bien sûr Youtube. Enfin, quand je parle de Youtube, je parle pas de mes collègues youtubeurs qui, pour la plupart, sont des idiots juste bons à faire des nullités. Que c’est mollasson, tout ce qu’ils créent ! Je vais surtout sur Youtube pour chercher des documentaires et des archives sur le vieil Hollywood, sur Naissance d’une nation et l’influence de la mafia ou du Ku Klux Klan sur le cinéma, ça c’est une vraie source d’inspiration. Je vous conseille notamment la passionnante série de documentaires Hollywood, the Pioneers. Parce que bon, en Europe, vous avez les meilleurs films, c’est vrai, mais nous, on a créé l’âge d’or d’Hollywood: Rudolph Valentino, Gloria Swanson, Liza Minnelli…

Avez-vous lu Hollywood Babylon de Kenneth Anger? Quel regard portez vous sur cette peinture du glamour et de la folie de cette période ?

J’ai suffisamment étudié l’histoire de Hollywood pour savoir que Kenneth Anger a inventé plein de choses. Jayne Mansfield n’a jamais été décapitée, par exemple. Son chien, à la rigueur, mais pas elle ! J’ai beaucoup enquêté sur ce monde-là. J’ai lu les autobiographies de Bette Davis, Gloria Swanson, on peut même trouver My Way of Life de Joan Crawford en libre audio sur Youtube, c’est passionnant. Je suis devenue amie avec Charles Busch, qui a écrit les scénarios de Psycho Beach Party et Die, Mommie, Die! (dans lequel Tammie tient un rôle, ndlr). Il travaille chez TCM et qui connaît très bien tout ça. C’est mon pote et il m’a aidée a devenir une experte. Ainsi, j’ai été honorée qu’on me demande d’apparaître dans le documentaire I am Divine.

Dans vos films comme sur scène, vous performez en drag. Certaines actrices de l’âge d’or Hollywoodien vous ont-elles servi de référence ?

Non, j’ai commencé le drag bien avant de ma familiariser avec tout cela. J’ai simplement la chance de leur ressembler, ou du moins d’invoquer ça avec mon physique! Vous savez, je n’ai découvert Joan Crawford qu’il y a onze ans, et Marlene Dietrich encore des années après! J’ai commencé tard, mais je me rattrape, comme vous voyez. Je repense souvent à Joan Crawford dans The Damned Don’t Cry (L’Esclave du gang) de Vincent Sherman. On peut même dire que c’est elle qui m’a poussée à faire des films. Elle et Gloria Swanson, bien sûr. Il y a des scènes de Sunset Boulevard où rien que la lumière qui parcourt son visage me fait pleurer. Je ne regarde pas beaucoup de films de gangsters, mais je suis très sensible aux femmes fatales.

L’esthétique des films américains des années 80 a également une grande influence sur ma vie. J’adore Big Business (Quand les jumelles s’emmêlent) avec Lily Tomlin et Bette Midler. J’aime aussi beaucoup Tootsie même si j’ai honte pour Dustin Hoffman. Batman, Gremlins… au-delà des histoires, ce qui me fascine c’est le style, l’esthétique, le jeu des acteurs, le mélange des genres. Il y avait déjà une étonnante liberté de ton dans les années 60, je pense notamment au film A New Kind of Love (La Fille à la casquette) avec Paul Newman. Mais il y a dans les années 80 un équilibre entre liberté et savoir-faire qu’on n’a plus retrouvé depuis. Je parle de savoir-faire parce que dans les années 30, par exemple, les scénarios des films populaires étaient quand même écrits n’importe comment, et ils n’avaient visiblement pas encore bien saisi le concept de continuité.

Le cinéma contemporain vous inspire-t-il la même curiosité ?

Le cinéma contemporain est moins drôle, moins spontané. Hollywood n’a que cent ans, ce n’est pas si vieux. Il y a encore de la place pour l’évolution. Mais la culture pop contemporaine, dans le cinéma ou la musique, c’est naze, c’est que du vent. Même RuPaul’s Drag Race s’est embourgeoisé, avec toutes ces look queens. Moi je dis zut aux look queens, voilà ! A Hollywood les look actors n’ont jamais duré. Ils ne font pas le poids face aux vrais artistes.

Aujourd’hui j’aime regarder les films gore produit par Trauma. Ils sont volontairement ridicules et j’adore ça. Mais je fais attention avec les films d’horreur parce que ce me fait peur. J’ai peur du mauvais œil. Vous savez, à force de m’intéresser aux tueurs en série, il m’est déjà arrivé des bricoles.

Chez les Français, j’aime beaucoup Ma vie en rose et L’Inconnu du lac. Dans ce dernier, j’apprécie beaucoup que les corps masculins ne soient pas parfaits. Je m’intéresse beaucoup à l’évolution des représentations des corps à l’écran, qu’ils soient masculins ou non, et à la manière dont ils sont érotisés. La manière dont les postures et les gestes de Clark Gable étaient mis en scène, par exemple, c’était quelque chose. Mais avec la nudité, on en fait souvent trop. Parfois j’aimerais qu’on enlève les scènes de sexe dans tous les films, qu’on en laisse plus a l’imagination. Mais ici aux États-Unis, on est complètement coincé par rapport à vous.

Envisageriez-vous de réaliser un long métrage ?

Mais j’ai effectivement écrit un scénario de long métrage. Ça s’appellera The Tammie Brown Unreality Reality Musical. C’est un film sur ma vie, où je jouerai une version fantasmée de mon propre rôle. J’y serai entourée de personnages qui feront tout pour exaucer mes rêves et mes désirs, le tout dans un monde d’illusions. J’ai envie de proposer le rôle du jardinier gay à Gael Garcia Bernal, et je voudrais également caster Tina Turner, car j’ai très envie de la voir jouer la comédie. Je l’imagine bien jouer un rôle à la Mae West. Pour moi, Tina Turner est numéro un, point final. Elle n’a rien à voir avec le cinéma, mais elle sait générer des images marquantes. Je pense notamment à ses portraits par Herb Ritts, vous savez, des campagnes Abercrombie&Fitch.

L’influence que Tina Turner a eu en termes de look et de style est très sous-estimée, elle devrait être reconnue comme une fashion leader! J’ai beaucoup revu le documentaire Tina Turner, the Girl from Nutbush sur Youtube. A un moment donné, il y a le mec de Heaven 17 qui reprend River Deep Mountain High avec elle, et ils se mettent à improviser sur une autre version, c’est incroyable. J’avais 16 ans quand l’album Wildest Dreams est sorti. Les années 90 était un très grand moment pour la musique. Ça c’était de la bonne musique. J’aime beaucoup les Vengaboys aussi.

Je rêve aussi de faire une grande émission télé avec des invités, des numéros musicaux et des scopitones, comme on en faisait à la télévision française dans les 70 ou en Italie encore aujourd’hui. Et évidemment j’y serai ma propre invitée musicale. Le genre d’émission que présentait Amanda Lear. Amanda Lear a eu une énorme influence sur moi,et termes de looks mais aussi musicalement. J’adore ses albums disco. D’ailleurs je prépare actuellement un album de disco chanté en espagnol et en anglais. Après tout, il faudra bientôt fêter les vingt ans de drag de Tammie Brown, alors j’ai hâte de repartir en tournée, avec peut-être une prochaine date en France ?

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 17 avril 2018.

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