Entretien avec Sonny Calvento

Excuse Me, Miss, Miss, Miss est réalisé par le Philippin Sonny Calvento. Sélectionné à Sundance en début d’année, ce court métrage était à l’honneur lors du dernier Festival de Locarno. Il raconte les mésaventures d’une vendeuse malmenée par son intraitable supérieure. Le résultat est une farce camp et jubilatoire sur l’absurdité du monde du travail. Sonny Calvento est notre invité de ce Lundi Découverte.

**Quel a été le point de départ de Excuse Me, Miss, Miss, Miss ?**

Le point de départ de Excuse Me, Miss, Miss, Miss a été un appel à la subvention de courts métrages lancé par le QCinema International Film Festival, qui est un festival local soutenant financièrement la création aux Philippines. Mon collaborateur régulier Arden Rod Condez, scénariste du film, et moi-même cherchions un sujet de court métrage lorsque, par hasard, j’ai rencontré une employée de supérette et elle m’a parlé de sa formation pour devenir une employée de vente régulière d’un grand magasin. J’ai été totalement fasciné de constater la façon dont les entreprises aux Philippines rendent apparemment impossible pour ces travailleurs de se familiariser avec leur travail et leurs normes improbables. Je trouve ces réglementations à la fois drôles et absurdes, ce qui en fait un matériau parfait pour une comédie avec une dynamique sociale.

Pouvez-vous nous parler du choix de raconter cette histoire à travers un style visuel aussi pop et coloré ?

Je voulais présenter une réalité apparemment clean et parfaite au début du film, mais en même temps briser cette perfection en exposant les réalités du monde des travailleurs contractuels des grands magasins. J’ai souhaité que le film soit très rythmé, avec l’utilisation d’une musique jazz, pour montrer à quel point la vie des travailleurs des grands magasins va à cent à l’heure ; mais en même temps, il fallait révéler à quel point elles peuvent avoir quelque chose de routinier, ennuyeux et même désespéré malgré cette surcharge permanente. Contrairement à la plupart des films où le rythme et le style visuel s’intensifient jusqu’au point culminant, ce film devient plus lent lorsque la protagoniste commence à accepter son destin.

Sous son apparence de comédie, Excuse Me, Miss, Miss, Miss parvient à raconter quelque chose de sérieux sur le monde du travail. Dans quelle mesure diriez-vous que le camp et la comédie vous ont permis de traiter de sujets plus graves ?

Ce traitement est fortement basé sur mon observation de la psyché philippine, qui consiste entre autres en une fausse résilience et cette idée de rire de ses misères comme moyen de faire face aux problèmes sociétaux de notre pays. Je voulais vraiment que le film soit comique et camp au début, mais je voulais aussi qu’il passe à quelque chose de plus sombre et sérieux à la fin parce que je souhaitais mettre au défi la psyché philippine d’accepter simplement son destin pour effectivement rire de ses misères.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Regarder Canine de Yorgos Lanthimos a changé ma vie et ma vision du cinéma. J’ai, d’une certaine manière, parfaitement ressenti la sincérité et le réalisme du monde qu’il représente, malgré l’absurdité de l’histoire. Je suis également un grand fan du langage visuel et de la précision de Wes Anderson et Baz Luhrmann. Et puis bien sûr il y a des réalisateurs asiatiques comme Asghar Farhadi, Hirokazu Kore-Eda et Wong Kar-Wai.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose d’inédit ?

Honnêtement, cette pandémie m’a donné un sentiment de désespoir aux Philippines. Pendant un certain temps, j’ai arrêté de regarder des films et du contenu narratif afin de me concentrer sur mon bien-être. Mais être à Sundance en janvier dernier m’a aidé à retrouver mon amour pour le cinéma lorsque j’ai regardé des films puissants et inspirants tels que CODA de Sian Heder et One For the Road de Nattawut Poonpiriya. Le dernier film qui m’a vraiment impressionné était Vengeance is Mine, All Others Pay Cash d’Edwin que j’ai pu regarder à Locarno !

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 24 août 2021.