Entretien avec Rasmus Kloster Bro

Couronné au Festival du Film Fantastique de Strasbourg et sélectionné à la Roche-sur-Yon, Exit (intitulé Cutterhead lors de ses diffusions en festivals) le premier long métrage du Danois Rasmus Kloster Bro. Il raconte l’histoire d’une journaliste enquêtant sur le chantier du métro de Copenhague et qui va être confrontée à un accident. Le film parvient à être un thriller horrifique tout comme une métaphore politique. Et c’est une expérience purement physique qui a secoué à peu près tous ses spectateurs… Rasmus Kloster Bro, dont le film sort ce mercredi 15 juillet, est notre invité.


Quel a été le point de départ de Exit ?

Bien avant de commencer le film, j’étais déjà fasciné et ce depuis des années par la construction continuelle du métro de Copenhague. D’abord parce que ces chantiers vous donnent visuellement l’impression d’être sur une autre planète, alors que nous sommes au cœur de la ville. Ensuite parce que j’ai trouvé qu’ils fonctionnaient un peu comme une version condensée de l’Europe, avec ses luttes actuelles et ses développement à venir. Pour moi, la combinaison de ces deux éléments constituait un décor parfait pour explorer ce qui peut se passer dans une fiction tournée là-bas. Lorsque nous avons découvert l’existence du tunnelier, nous savions qu’on avait là comme un décor de sous-marin ou de navette spatiale.

Comment avez-vous trouvé le juste équilibre entre le pur thriller horrifique et la métaphore politique dans Exit ?

L’histoire est passée par de nombreuses répétitions, mais la réalité est très simple : la progression à travers ces espaces étroits, avec les personnages, est l’histoire. L’espace est la métaphore qui lie l’horreur physique au monde qui nous entoure. Je vois le langage cinématographique avant tout comme quelque chose de physique, un langage chorégraphique et rythmique. Il doit résonner dans le corps des spectateurs, tout comme dans leur esprit. Et dans une Europe où l’on se sent de plus en plus à l’étroit et où l’on a le sentiment qu’il est de plus en plus difficile de respirer, cela a du sens. Cette peur qu’il n’y ait pas suffisamment d’espace, ou d’air pour chacun, de quelle manière cela nous affecte t-il ?

Vous traitez, à travers votre héroïne, de la culpabilité blanche et du privilège blanc. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’ambigüité morale qui l’entoure ?

Nous autres, les Danois, avons l’habitude de nous voir comme un peuple tout à fait égalitaire, mais cela a beaucoup changé au fil de ma vie. Il y a de plus en plus d’inégalités dans notre société, mais c’est comme si nous ne l’avions pas encore compris. « Je peux aller où je veux » dit Rie à un moment du film. Il y a une profonde vérité là-dedans. Mais elle ne réalise pas que ce n’est pas le cas de tout le monde.

Comment avez-vous travaillé avec votre directeur de la photographie pour créer une expérience aussi physique, intense et immersive ?

Nous étions là, à 20 mètres sous le sol, durant la majeure partie de la production. Le jeu était de porter cet espace physique jusqu’à l’extrême. Martin Munch a fait un travail incroyable dans des circonstances difficiles, et je voulais également souligner le superbe travail de Lars Halvorsen et de l’équipe du son. L’horreur tient beaucoup de leur travail et c’était à vrai dire un grand saut de foi pour tous ceux impliqués dans ce projet. Car le film ne fonctionne vraiment que quand tous ses éléments (dont le design sonore) sont en place.

Quels sont vos cinéastes favoris, ceux qui vous inspirent ?

J’ai été très inspiré par Mike Leigh et son approche quant au travail avec les acteurs. Plus localement, Annette K. Olesen a été une grande inspiration, et bien sûr Lars Von Trier comme Nicolas Winding Refn sont incontournables. Je m’intéresse aussi à d’autres mouvements contemporains, comme le Sensory Ethnography Lab d’Harvard : Leviathan de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor m’a époustouflé. Par ailleurs, j’ai été élevé pour ainsi dire par des réalisateurs comme David Cronenberg, Steven Spielberg et des tonnes de films d’animations, comme ceux des frères Quay (Street of Crocodiles) ou d’un réalisateur qui vient du village où j’ai grandi, Jørgen Vestergaard. Il a réalisé un film pour enfants intitulé Snøvsen. Le protagoniste est une étrange petite créature avec un long nez, qui rebondit sur un orteil.

Quel est le dernier film où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent ?

Isabella Eklöf (lire notre entretien), une réalisatrice suédoise qui travaille au Danemark, a fait son premier film cette année, intitulé Holiday. C’est un sacré film et j’ai la conviction qu’elle va faire de grandes choses dans le futur. Elle a aussi co-scénarisé Border de Ali Abbasi.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 14 novembre 2018. Un grand merci à Tine Klint et Andrea Frovin.

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