Entretien avec Payal Kapadia

Lauréat de L’Œil d’or du meilleur documentaire à Cannes, Toute une nuit sans savoir est un ovni qui mêle effectivement documentaire mais aussi essai poétique et film expérimental. A travers les lettres d’une étudiante à son amoureux absent, l’Indienne Payal Kapadia raconte les voix d’un mouvement protestataire, des femmes, des hommes, des étudiant.e.s qui marchent pour la démocratie, la liberté d’expression et l’égalité. Ce film remarquable sort en salles le 13 avril. Sa réalisatrice est notre invitée.


Quel a été le point de départ de Toute une nuit sans savoir ?

Nous avons débuté le tournage en 2017. Ranabir (le directeur de la photographie et monteur du film) et moi avons commencé à documenter la vie autour de nous et à travers cela, nous avons documenté nos amis. Au fil des années, nous avons beaucoup tourné : des fêtes, des anniversaires ou simplement de longues siestes l’après-midi. Nous n’étions pas toujours sûrs de ce que nous faisions, mais comme nous étions parmi des gens que nous connaissions bien, le processus de tournage était intime et décontracté. Au-delà de nos ami.e.s, notre campus universitaire est également devenu un personnage du projet. Un certain temps a passé et nous n’avions toujours pas d’idée précise de ce que serait le film. Nous n’avions que les souvenirs, que nous rassemblions.

À travers ces différents éléments et les témoignages de nos amis (leurs rêves, leurs souvenirs et leurs angoisses), une image d’une partie de la jeunesse a commencé à émerger. Alors que nous commencions à assembler des séquences, certains nous ont donné des images qu’ils avaient tournées eux-mêmes dans d’autres universités. Nous avons commencé à trouver de plus en plus de telles séquences – des rushs empruntés à des amis, d’anciennes archives familiales et des vidéos virales sur internet. Nos images collectées sont devenues des archives de souvenirs qui n’ont cessé de croître – des souvenirs du temps que nous avions vécu et dont nous avions été témoins. Petit à petit, même les images que nous avions tournées ont commencé à donner l’impression d’avoir été «trouvées». Nous avons commencé à concevoir un récit pour relier toutes ces images qui paraissaient alors sans rapport.

Effectivement à certains moments du film, on a le sentiment de regarder d’anciennes images d’archives alors que votre film évoque bel et bien de sujets d’aujourd’hui. Pouvez-vous nous parler du sentiment que vous souhaitiez explorer à travers ces images devenues pour ainsi dire intemporelles ?

Oui c’est tout à fait vrai. Nous voulions donner une impression de continuité dans le film – comme pour dire que ces luttes sont sans fin. Nous avions aussi beaucoup de véritables séquences d’archives pour faire ressortir la façon dont le temps et la mémoire se superposent.

Toute une nuit sans savoir a remporté le prix du meilleur documentaire à Cannes. Ce film est également un essai, un film expérimental qui est à la fois très romantique et politique… Comment avez-vous combiné ces différents tons et genres pendant la préparation du film ?

Étant donné que nous tournions depuis de nombreuses années et que nous avions également tellement de séquences différentes, nous devions trouver une structure qui maintienne tous ces différents éléments ensemble. Le récit que nous avons choisi était une histoire d’amour. L’amour lui-même est si politique ! Cela est particulièrement vrai en Inde, où l’amour est forgé par des différences de caste, de classe et de religion. Comment parler de jeunesse sans parler d’amour ? Cela semblait être la bonne voie à suivre.

Le film prend la forme de lettres, écrites par une jeune femme de l’université à son amant dont elle est éloignée. À travers ces lettres qui s’étendent sur de nombreuses années, nous avons une idée d’une partie de la jeunesse qui est prise à la fois dans des luttes personnelles et dans des luttes sociales plus larges, alors qu’elle fait face aux changements drastiques qui se produisent autour d’elle.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Il y a beaucoup de cinéastes qui m’inspirent. Parmi ceux-ci, entre autres, il y aurait Miguel Gomes, Ritwik Ghatak, Jose Luis Guerin, Chris Marker, Apichatpong Weerasethakul, Tsai Ming Liang, Claire Denis, Alice Rohrwacher, Aki Kaurismaki, Abbas Kiarostami, Agnes Varda… et je pourrais poursuivre cette liste !

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf ?

Je pense que les festivals de cinéma sont un très bon moyen de découvrir de nouveaux films du monde entier. J’ai vécu cette expérience à la section de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Il y avait des cinéastes que je ne connaissais pas auparavant et j’ai été vraiment très heureuse de découvrir ces films.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 4 octobre 2021. Un grand merci à Thomas Hakim.

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