Entretien avec Nathan Nicholovitch & David D’Ingéo

Avec un mélange de captation utra-réaliste et de puissance mélodramatique, Avant l’aurore (selectionné à l’ACID sous le titre De l’ombre il y a) fait le portrait de Mirinda, un travesti français qui se prostitue à Phnom Penh. Nous avons rencontré le réalisateur Nathan Nicholovitch et l’interprète principal David D’Ingeo qui nous parlent de ce tournage intense.

 

Sur la rencontre avec le Cambodge

Nathan : Le premier point de départ c’est un voyage qu’on a fait ensemble au Cambodge en 2012, avec dans l’idée d’en ramener un film. J’avais passé six ans à faire mon premier film, et je voulais quelque chose de moins fastidieux. On est donc parti un mois avec un ami chef op, on ne savait pas du tout ce que ça allait raconter. De ce voyage est né le personnage de Mirinda, qui s’est nourri de ce que l’on a observé là-bas, sans nécessairement le comprendre tout de suite. On peut dire qu’on s’est pris le Cambodge de plein fouet. On est revenus avec un court métrage, No Boy, mais assez vite on a eu l’envie d’y retourner, d’écrire quelque chose de plus ambitieux, mais également de plus ancré dans le Cambodge. Un des enjeux d’Avant l’aurore c’est de comprendre quelque chose à ce territoire-là.

David : Il y a une forte présence coloniale là-bas. Beaucoup de blancs perdus, des occidentaux partis en vacances peut-être pour se droguer, et qui dont restés coincés là-bas, des Français ou des Allemands qui sont venus se perdre dans ces pays d’Asie du sud-est sans qu’on sache trop pourquoi. Il sont en rupture avec leur passé, avec un monde capitaliste. Nathan aime bien donner des contraintes. Donc une fois le personnage de Mirinda bien en tête, il s’est dit « et si on lui mettait un enfant dans les pattes ? ». Je crois que la question qu’il se posait, c’était « et si Mirinda étaient un père, quel genre de père serait-il ? ».

Sur l’écriture et la préparation

Nathan : On a écrit à six mains, avec David et Clo Mercier, qui avait déjà travaillé sur mon premier film. On a mis un an, et après une première mouture, on part tous les quatre avec mon assistante, et on passe huit mois sur place à préparer le tournage. Tout était à faire : monter l’équipe, trouver les décors, les comédiens, les costumes, corriger le scénario, etc. On est parti à la rencontre de mille et une personnes : les NG, le tribunal international, des filles de bar, des avocats, des enquêteurs…

Quand on est arrivé à Phnom Penh et qu’on a commencé à montrer notre scénario, tout le monde nous a dit : « vous allez aller en prison si vous tournez ce film. Pour à peine trois billets, n’importe qui va vous dénoncer ». Il a donc fallu trouver des gens qui comprennent le film, mais surtout à qui on pouvait faire confiance. On a donc écrit un scenario B qu’on a donné au ministère. Ils nous ont quand même prévenus qu’ils allaient dépêcher quelque qu’un pour nous surveiller 24/24. Au final ça ne s’est pas fait même si, quand on tournait en extérieur, on les cherchait du regard pour vérifier quand même. On a fait attention mais on n’a pas eu de gros problèmes de sécurité.

Il faut dire que le Cambodge est une zone de non-droit, il y a beaucoup de délation et de corruption. C’est un endroit fou. L’histoire récente du Cambodge est hyper violente. Par exemple la prostitution y a explosé depuis l’arrivée des casques bleus. Il était important pour nous que cette histoire soit en tissage, fasse partie de l’écriture du film. D’où la présence du personnage de Judith du Tribunal international, qui enquête sur les anciens dignitaires khmères rouges, qui font encore aujourd’hui du trafic d’enfants.

Sur la préparation du personnage de Mirinda

David : Je travaille beaucoup physiquement, il faut que je parte d’un détail ou d’un élément physique : un piercing ou une moustache par exemple. Je voulais que quand on voit Mirinda à l’écran pour la première fois, on soit directement dans son quotidien, et pour cela j’avais un champ complètement ouvert. Je me suis donc décoloré les cheveux très en amont, un an avant je crois, pour que le jour où on a commencé à tourner, j’aie des racines déjà très longues. Quand on me voit, on se dit cette créature-là n’a pas de thune pour se faire sa couleur, ou bien s’en fout complètement, donc ça lui donnait déjà une touche.

Puis petit à petit, sur place, je me suis mis à m’habiller en fille, à m’épiler, je me suis fait percer l’oreille, j’allais m’acheter des vêtements dans les marchés. Quand je rencontrais les gens, j’étais en fille. Quand on sortait la nuit pour faire du casting sauvage, les filles ne rigolaient jamais quand elles me voyaient, elle m’acceptaient comme j’étais, ce qui m’aidait énormément. Il n’y avait pas de maquilleur ou de coiffeur sur ce tournage, on évitait donc ce moment de transition où on doit s’asseoir devant un miroir et où on entre dans un rôle. Là, je me préparais directement le matin et j’étais déjà Mirinda.

Sur le casting local

Nathan : Pour les casting, on fait des annonces à la radio, on a distribué des flyers. Or on s’est rendu compte que les comédiens professionnels de là-bas ont presque tous les soaps chinois ou sud-asiatiques comme référence : ils sont surlookés, ils sont dans un surjeu permanent, ce qui n’est pas ce qu’on recherchait du tout. On s’est progressivement orienté vers du casting sauvage. L’ami de Mirinda par exemple c’est un chauffeur de tuk-tuk, et le patron de restaurant, c’est un type qu’on avait vu faire du slam sur une scène à Phnom Penh.

Un des gros enjeux du casting c’est la petite fille. Il fallait trouver une enfant et surtout des parents qui nous fassent confiance. On a trouvé Kamala, un petite fille des rues, mais comme elle prenait de la drogue, elle oubliait de venir, elle ne se réveillait pas, elle ne dormait jamais au même endroit. C’était le travail de longs mois. Et puis dès le début du tournage, elle a paniqué et a refusé de continuer. C’était terrible. Puis on nous a présenté Pana, qui est celle qui joue dans le film. Pana n’a pas du tout la vie de son personnage, elle va a l’école et elle vit avec ses parents. Elle s’est révélée être d’une écoute exceptionnelle. La première fois que je l’ai vue jouer, j’en suis resté bouche bée.

Sur les complications du tournage

David : Le bar où l’on voulait situer l’action, c’était un bar où on était tout le temps. C’est là qu’on a rencontré la plupart des gens qui sont dans le film. On y était tellement souvent qu’on faisait partie des meubles, donc les gens nous faisaient confiance, ils ne nous remarquaient même plus. Il se trouve qu’au Cambodge, on ne pouvait pas demander les autorisations de tournage trop longtemps en avance. Du coup, on est arrivé à avoir l’autorisation de tourner dans ce bar la veille du tournage. Le lendemain, on arrive tous et là : il n’y avait plus de bar. Plus de meubles, plus de tapis, plus de billard, plus rien ! Ils le savaient et ils ne nous avaient rien dit ! C’est une des serveuses du bar, qu’on avait embarquée dans le film, qui nous a finalement indiqué un autre établissement. En un claquement de doigts on n’avait plus rien, et en un autre claquement de doigts on avait tout retrouvé. Il faut toujours préparer des plans B.

Nathan : C’est le Cambodge. Il faut apprendre à lâcher prise, à ne pas paniquer. Ce tournage, c’était un bateau ivre en pleine tempête. On finit par arriver à destination mais mais il faut accepter que rien ne va se passer comme on veut. Ce n’est jamais confortable, c’est assez angoissant parfois mais ça va très bien avec ma manière de travailler. Ce que j’aime, c’est provoquer l’inattendu, je suis en alerte permanente. Il faut que je trouve des moyens pour que la vie rentre.

Sur l’aspect documentaire du film

Nathan : Quand on me dit que le film ressemble à un documentaire, ce n’est pas que ça m’ennuie mais la vérité c’est que mon travail consiste à effacer. A faire en sorte qu’on ne voit pas le scenario, l’écriture, la mise en scène. Tout cela doit s’effacer non pas dans un esprit d’humilité mais dans le but que le spectateur soit directement avec les personnages. Mon travail, c’est que le film se vive au présent. On découvre tout en même tant que les personnages, on n’a jamais un temps d’avance sur eux. Toutes les ellipses étaient déjà dans le scénario, elles servent moins à raconter une histoire qu’à propulser les personnages et les spectateurs dans un état presque physique, elles servent à rester dans un présent permanent.

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 14 septembre 2018. Un grand merci à Viviana Andriani.

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