Entretien avec Milica Tomović

Premier long métrage de la Serbe Milica Tomović, Celts a été l’une des découverte de la récente Berlinale. Cette réunion à l’occasion d’un anniversaire au début des années 90 compose un portrait de groupe doux-amer et férocement drôle à la fois. Vous devriez entendre parler de Celts cette année. En attendant, Milica Tomović est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Celts ?

Je pense que c’est le jour où j’ai décidé d’écrire un scénario en ayant en tête l’ensemble des interprètes. C’est une décision qui est née à la fois de mon désir de développer mon appétit à travailler plus étroitement avec des acteurs, mais aussi d’un désir plus égoïste, car je suis une grande admiratrice de films choraux. A partir de là, je me suis imposé quelques contraintes : un lieu unique, une unique journée, et beaucoup de personnages. Je me suis beaucoup inspirée de ma propre fête d’anniversaire pour mes huit ans, et le reste est venu naturellement.

Dans quelle mesure diriez-vous que Celts, qui se déroule dans les années 90, parle également de la situation contemporaine?

Le passé a toujours été utilisé comme un miroir, que ce soit pour refléter comment nous répétons les erreurs de nos parents, ou pour montrer comment, peu importe la décennie, les problèmes demeurent toujours les mêmes, au niveau personnel et au niveau politique. A l’époque du film, notre problème c’était l’hyperinflation. Comme le dit le personnage interprété par Stefan Trifunović, nous étions alors les milliardaires les plus pauvres dans le monde. L’une des façons dont le gouvernement a essayé de faire face à cette hyperinflation fut de baisser la valeur du dinar, en imprimant chaque semaine de nouveaux billets, d’un montant plus élevé à chaque fois. Quand tous les citoyens se retrouvent dans le même bateau, peu importe à quelle point la situation est mauvaise, il se développe alors une certaine camaraderie parmi les gens. Je pense que la même chose s’est produite au début de la situation liée au Covid : les gens ont commencé à s’occuper les uns des autres, en dépit de leur peur de la proximité physique, qui est d’ailleurs la partie la plus effrayante de cette pandémie..

Comment avez-vous abordé la mise en scène de cette histoire ?

J’ai commencé par regarder beaucoup de films yougoslaves tournés au cours de cette décennie et puis j’ai réalisé que ce n’était pas la meilleure direction à prendre. Avec toute l’équipe créative (le directeur de la photographie Dalibor Tonković, la décoratrice Marija Mitrić et la costumière Maja Mirković), nous nous sommes surtout inspiré.e.s de nos photographies personnelles prises pendant cette décennie, en particulier dans la première partie des années 90. C’est là que nous avons trouvé l’angle idéal pour aborder la création des costumes, des décors et de l’image elle-même.

Ouvrir nos vieux albums photos nous a plongé.e.s dans les souvenirs personnels et nous a donc poussé.e.s à remettre en question les sentiments nostalgiques que nous pouvions avoir vis-à-vis de cette époque et de notre enfance. Cela nous a poussé.e.s à envisager de nouvelles manières de représenter ces dernières. Nous avons donc convenu que ce qui aurait pu être des détails (dans les costumes, dans le cadre) devait au contraire devenir des éléments-clés. C’est aussi pour cela que nous avions estimé que les mouvements de la caméra devaient rester subtils, comme si l’on glissait d’une pièce à l’autre, en jetant un coup d’œil dans chaque pièce, dans chaque histoire. C’est un peu ce qui arrive à Fića, le petit garçon qui ne trouve sa place nulle part et qui finit enfermé tout seul dans la salle de bain.

Quel.le.s sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Tout d’abord, je voudrais dire que chaque cinéaste avec qui j’ai eu la chance de travailler en tant qu’assistante réalisatrice m’a beaucoup apporté, qu’il s’agisse de mes camarades de classe Dane Komljen, Ognjen Glavonic, Masa Neskovic ou de nos réalisateurs de renom tels Oleg Novkovic, Bojan Vuletic et Stefan Arsenijevic. En ce qui concerne mes cinéastes préférés, c’est une question un peu plus difficile, parce que ça évolue, donc je vais en souligner une seule, à laquelle je reviens toujours chaque année : Lucrecia Martel.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

C’est quand j’ai regardé le premier long métrage de Marko Djordjevic, intitulé My Morning Laughter, c’est en quelque sorte le film que je rêverais de faire : il est si unique, précis, avec un sens du rythme et de l’humour vraiment fantastique. J’y pensais encore, des mois après l’avoir vu.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 15 mars 2021. Un grand merci à Vladimir Vasiljevic. Crédit portrait : Irena Canić.

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