Berlinale | Critique : Celts

Fatigués de remplacer les amandes par des noix, le beurre par la margarine, le sexe par la masturbation, un groupe d’amis yougoslaves cherchent de vraies sensations.

Celts
Serbie, 2021
De Milica Tomović

Durée : 1h46

Sortie : –

Note :

SACRÉE SOIRÉE

Quelle meilleure occasion que le goûter d’anniversaire d’une fillette pour une crise d’identité collective ? Nous sommes à Belgrade en 1993, pendant les premiers pas hésitants d’une nouvelle période de l’histoire. Dans sa maison elle-même prête à retomber dans le chaos, Marijana a obligé sa fille a inviter toute sa classe, tandis qu’elle se prépare une soirée picole dans la pièce a côté. Le travail de reconstitution des costumes de l’époque est remarquable. Les anoraks fluos impossibles et les parures au luxe désuet et disproportionné côtoient les costumes de tortues ninja, dans un cocktail esthétique choc qui enivre vite et bien. Pour son tout premier film, la jeune réalisatrice serbe Milica Tomović (lire notre entretien) mélange différentes générations dans une même maison (de fous) et nous invite ainsi dans une danse incertaine et joyeuse.

« Comment vous sentez-vous aujourd’hui madame? », « Vieille » répond-on dans un aboiement qui n’incite pas à la discussion. Tel est l’humour de Celts, à la fois absurde et vache. Faute de moyens, on a remplacé le beurre du gâteau d’anniversaire par de la margarine, et tout est d’occasion, même le chien à trois pattes emprunté au dernier moment au voisin pour remplacer un cadeau oublié. La soirée, la maison, la société entière parait tenir avec des bouts de ficelles prêts à craquer, mais dont on préfère encore rire que s’inquiéter. Tant pis pour la fillette qui voulait s’habiller en princesse rose mais qui finit par ressembler à Krang : dans ce foyer on trinque au fait d’être joyeusement anormal, malgré l’amertume. Dynamique, la caméra de Tomović ne s’attarde jamais longtemps sur le même personnage. Quand on pleure ou hurle, ce n’est jamais pour longtemps, car après tout « Ça aussi on y survivra ».

Parmi les passagers de ce bateau ivre, soulignons le regard particulier que Tomović porte sur ses personnages queers. Un regard chaleureux et pas lisse, brillant d’une générosité spéciale. Là où un film choral classique se serait contenté d’un personnage homo de service, Celts en propose pas moins de 5, tous des personnages amusés et amusants. Avec un peu de mauvais esprit malicieux (et Celts n’en manque pas, malgré sa tendresse), on pourrait même presque interpréter le film comme l’histoire d’un couple hétéro qui s’ennuie ferme pendant que leurs invités queers baisent, se droguent et s’éclatent à leur place.

Celts, c’est l’histoire d’un groupe de personnes essayant de démêler leur situation politique, identitaire ou intime, comme si les cartes de leurs rôles dans la société avaient été redistribuées lors d’une partie entre ivrognes. Quel avenir pour les ex-Yougoslaves désormais répartis dans leurs différents pays ? Et quel passé commun : un improbable héritage celte ? Après tout, ce n’est pas plus absurde que la situation réelle de la région. La réalité de l’époque, celle d’avant, et sans doute aussi celle d’aujourd’hui. Derrière sa dimension politique, Celts est un portrait de groupe doux-amer et férocement drôle à la fois.

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par Gregory Coutaut

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