Entretien avec Louda Ben Salah-Cazanas

Le Monde après nous est le premier long métrage du Français Louda Ben Salah-Cazanas. Ce film urgent raconte la précarité d’un jeune homme qui travaille sur l’écriture de son premier roman. Epuré, intense et poignant, Le Monde après nous saisit quelque chose de l’air du temps. Après avoir fait sa première mondiale à la Berlinale, ce film sort en salles le 20 avril. Louda Ben Salah-Cazanas est notre invité.


Quel a été le point de départ de votre film Le Monde après nous ?

Le point de départ du film est notre histoire personnelle avec ma femme. Notre rencontre puis son installation à Paris avec toute la violence que provoque la vie parisienne. Mon désir était de faire ressentir un moment difficile pour nous, plus que de raconter notre vie. Je suis parti de situations existantes sur lesquelles j’ai tissé une dramaturgie qui me permettait de faire exister la confusion des sentiments de ce que nous vivions à ce moment. Je voulais faire un film simple, dénué de grands gestes d’appareil, d’une mise en scène omniprésente – qui peut être l’écueil du passage au long métrage. C’était l’urgence de la situation qui comptait, faire le film dans le même geste que celui de Labidi, loin du performatif. 

Vous dites avoir eu pour projet de faire un film « contre la mélancolie », pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous entendiez par là ?

Quand je dis contre la mélancolie, j’entends le temps qui joue jusqu’à la mélancolie. Il est plus facile de faire un film sur le parcours compliqué de notre jeunesse, de nos débuts, une fois que notre vie est lancée convenablement. Je ne voulais pas attendre (si un jour j’en ai la possibilité) d’avoir fait 2 ou 3 films avant de raconter cette histoire. J’aime à penser aux sentiments que l’on peut ressentir quand on regarde un film, et je crois qu’un film sur la précarité avec ses moments drôles, la distance que l’on a quand on est dedans, quand on y croit et qu’on bouge (sans avancer), je ne pouvais le faire vivre dans sa singularité qu’en le faisant immédiatement. Le risque à attendre c’est de traiter le sujet de manière grossière, de surinterpréter ce qu’on a vécu. Alors que ces moments sont faits de beaucoup de moments beaux, d’humour et de joie pour maquiller ce que l’on vit. On ne s’en sort pas si on prend tout frontalement dans cette situation. Je ne voulais pas faire un film qui s’apitoie sur le sort des personnages.

C’était difficile de le faire dans ces conditions, je ne le cache pas, mais c’est aussi le geste du producteur (Olivier Capelli) qui a permis ça. Il a fait en sorte qu’on fasse le film quoi qu’il arrive, qu’on n’ait pas à attendre des mois ou des années afin de pouvoir le tourner. La prise de risque était aussi sur la manière dont nous avons fait le film, en toute petite équipe, avec très peu de matériel, constamment en mouvement, ça insufflait déjà tout ce que nous voulions que le film développe. Peut-être ai-je été maladroit en évoquant un film « contre la mélancolie », j’aurais du dire contre ma mélancolie. Mais le faire alors que nous n’étions pas sortis de la situation que le film développe était aussi le meilleur moyen de faire exister le propos. On s’est mis en danger, comme Labidi (je crois que j’apprends moins de mes erreurs que lui…). Ce qui est assez paradoxal, c’est que maintenant que le film est terminé, je suis encore dans la même situation haha… 

Comment avez-vous travaillé avec l’auteur Abdellah Taïa pour l’écriture des voix-off du film ?

C’était très facile de travailler avec Abdellah. J’avais maquetté les textes dès le scénario, mais je n’ai pas la prétention d’avoir un quelconque génie littéraire. De fait, une fois les informations condensées dans plusieurs paragraphes, j’ai rencontré Abdellah. Nous avons discuté de ce qui devait ressortir des textes, de l’importance du poids des mots plus que dans l’accumulation. C’était très simple finalement, Abdellah est quelqu’un de très impressionnant. Il a une modestie toute particulière et est à l’écoute permanente de ce que nécessite les choses dans lesquelles il s’inscrit. Il a pris mes textes pendant une bonne semaine et insufflé sa littérature. C’était nécessaire pour donner de la crédibilité au talent de Labidi. Abdellah a tout de suite compris ce qui devait résonner et a réussi à donner de l’importance à chaque chemin de la pensée de Labidi.

Comment vivez-vous le fait de présenter votre film à un public international mais de manière virtuelle dans cette édition particulière de la Berlinale ?

Pour être tout à fait franc ça m’arrange que l’édition soit en ligne cette année. Je viens d’être embauché dans un nouveau job alimentaire et je me voyais mal au bout d’un mois leur dire que je devais prendre une semaine de congés ! 

En dehors de ça, c’était totalement inespéré cette sélection. Nous avons fait le film le plus modestement possible. Nous n’avions pas d’autre ambitions que celle de raconter ce qui était au scénario. Je ne voulais pas démontrer un talent de mise en scène quelconque, prouver que je savais faire des films (comme c’est le souvent cas quand on fait un premier film, et c’est normal aussi de vouloir se démarquer). Là c’était un film sans grandes ambitions, si ce n’est celle d’exister. Je n’arrive pas à penser mes films en terme de carrière, je fais ce que je ressens disons. Et en toute franchise, je ne pensais pas que le film puisse arriver jusqu’à Berlin. C’est incroyable mais ça ne paye pas le loyer haha ! 

Je suis très heureux de tout ça, vraiment, aussi parce qu’on ne visait rien, on a vraiment fait le film modestement avec la volonté d’imprimer un sentiment commun, dénué de toute velléité de grandeurs. 

Quel.le.s sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Pour le film je n’avais pas vraiment d’exemple de ce qui m’a inspiré sur le moment ou sur ce que j’ai fait travailler à l’équipe. Je me souviens leur avoir demandé de voir L’Amour l’après midi d’Eric Rohmer et Je veux seulement que vous m’aimiez de Fassbinder. De manière générale, je suis très admiratif d’une partie du cinéma qui nous parvient d’Asie que ce soit Hou Hsiao-Hsien, Bong Joon-Ho, Na Hong-Jin notamment. Je suis impressionné par la liberté de ton de leur film, ils arrivent à mêler les genres faisant fi de toutes conventions. On m’a parfois parlé de la nouvelle vague pour Le Monde après nous, pour être honnête ça n’a jamais été une référence pour nous (c’en est une pour moi personnellement mais je n’y ai jamais pensé en faisant le film).

Je crois que les cinéastes cités précédemment sont suffisamment influencé par la nouvelle vague pour que ces influences filtrent jusqu’à nous. C’est un chemin compliqué mais cette liberté de ton et de transcender les genres est un héritage qu’on ne peut pas renier, il produit sur les films l’imprévisibilité des situations et donne un spectre plus large à explorer quand on écrit. Je dis ça parce qu’on écrit un prochain film en ce moment avec Rémi Bassaler (co-scénariste) sur un film qui navigue entre le polar, le drame et imprégné de forts moments de comédies.  

Quelle est la dernière fois où vous avez eu l’impression de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Je ne sais pas, c’est une question hyper compliquée en fait ! Ça arrive tous les jours, il existe tellement de médium aujourd’hui. Je suis très influencé par un jeune artiste contemporain qui s’appelle Hugo Deverchère en ce moment. Je suis très impressionné par son travail. Sinon d’un point de vue cinématographique je dois avouer avoir été bluffé par Les Merveilles d’Alice Rohrwacher à sa sortie que je ne connaissais pas auparavant. 

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 5 mars 2021. Un grand merci à Anne-Lise Kontz.

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