Entretien avec Kelly Copper

Alerte ovni ! Dans l’Autrichien Die Kinder der Toten, les Américains Kelly Copper et Pavol Liska adaptent Elfriede Jelinek. Dans une charmante campagne, les morts vont revenir à la vie. Guy Maddin meets Striptease meets tous les restes d’alcool cachés sous l’évier dans cette parade de WTF en 8mm, produite par Ulrich Seidl. Il y a des zombies, des crêpes farceuses et des saucisses mais il y a aussi plus d’imaginaire fantastico-horrifique dans cette comédie que dans bien des films d’horreur « sérieux » récents. Die Kinder der Toten a reçu le prix de la presse à la Berlinale et poursuit depuis sa brillante carrière en festivals. Sa co-réalisatrice Kelly Copper est notre invitée de ce Lundi Découverte…

Quel a été le point de départ de Die Kinder der Toten ?

A la base il y a eu une invitation du Festival Steirischer Herbst à tourner ce film dans la campagne styrienne. Au cours de ces 3 dernières années, nous avons fait quelques films avant ce tournage dans des localités spécifiques, en utilisant des ressources locales et des acteurs amateurs, et l’idée était de voir si quelque chose comme ça serait intéressant à tourner en Styrie. Nous avons fait une première visite à Neuberg et Krampen. C’était le moment de l’année où les vaches sont conduites des hautes terres jusqu’aux pâturages d’hiver. Je me souviens qu’il y avait des vaches dans la rue et au même moment, un club de moto traversait lui aussi la ville, avec des vaches autour. Nous avons vu cette étrange rencontre et avons pensé : il y a quelque chose ici pour nous. Puis lors de notre nuit à l’auberge, nous avons rencontré des sauveteurs de montagne qui buvaient et on leur a parlé, et nous avons commencé à poser des questions sur la région, sur ce que les gens font ici. On a aussi demandé à Claus Philipp et Veronika Kaup-Hasler (qui dirigent le festival) s’il y avait des ouvrages que nous pourrions lire et qui seraient liés à cette région. C’est là que Elfriede Jelinek a surgi dans la conversation. Elle a été élevée à Krampen et son livre Die Kinder der Toten (édité en français sous le titre Enfants des morts, ndlr) se déroule dans la région. Et on est parti de là.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre choix de tourner en 8mm ?

Nous avons toujours eu une affinité pour le 8mm – ce format étant le premier format pour les films amateurs, et qui à l’origine était largement disponible, bon marché et facile à utiliser. Pendant plusieurs années, quand nous vivions à New York, nous étions des collectionneurs totalement passionnés par ces films faits à la maison que l’on pouvait trouver sur les marchés aux puces – des boîtes entières de films pour seulement quelques dollars. Nous les ramenions à la maison et les projetions nous-mêmes. Je me demandais à qui ces films appartenaient et comment ils ont pu finir en notre possession. Nous nous sommes retrouvés avec une énorme collection. Il y avait quelque chose de beau et hanté à leur sujet. Leurs représentations de vacances en famille, de mariages, de fêtes… ce sont toujours les bons moments qui étaient filmés, mais on avait le sentiment que ces films avaient fini par être abandonnés parce que quelqu’un était mort, ou divorcé, ou que la famille avait éclaté – une tragédie ou un mystère qui conduiraient à ce que ces boîtes de films finissent vendues dans la rue.

Quand nous avons commencé à réfléchir à Die Kinder der Toten et aux morts qui reviennent hanter les vivants, nous avons repensé à ces films familiaux. Par ailleurs, Claus Phillipp nous avait montré quelques vieux films 8 et 16mm de la région, à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Nous nous sommes dit que le format était en fait parfait pour cette histoire qui se déroule également dans une auberge de vacances, dans une ville de montagne où l’on vient se reposer en famille. Cela s’adaptait parfaitement. Et aussi, utiliser ces caméras antiques – qui sont imparfaites – rendait le travail toujours un peu hors de votre contrôle. Elles permettent des fuites de lumière, du flare, comme des fantômes dans la machine. C’est à bien des égards un format hanté. Un format méprisé et abandonné. Ce n’est pas « professionnel » à proprement parler, mais plus personnel, intime.

Comment s’y prend-on pour adapter une autrice comme Elfriede Jelinek ?

Eh bien, nous avons eu une sorte d’accès imparfait au livre, car nous ne parlons qu’un allemand limité et comme le livre n’est pas traduit en anglais, donc nous avons dû compter sur ce que les gens pouvaient nous dire à son sujet. Claus et Veronica avaient lu le roman, et nous leur avons posé des questions sur l’histoire mais aussi sur leurs impressions, et puis nous avons eu une traduction en anglais des 100 premières pages par le traducteur de Jelinek qui nous a donné une partie de la saveur du livre. Ensuite, nous avons également estimé que notre mission pour le projet était aussi de nous inspirer du paysage, des gens et de expérience de la région, et de faire usage de ce qui était à notre disposition – par exemple nous étions obsédés par cette usine abandonnée que nous avons trouvé à Neuberg. Personne ne savait qui en était le propriétaire ou ce qui lui est arrivé – c’était un mystère – et cette curieuse usine est entrée dans notre version de l’histoire, tout comme le supermarché local. Nous avons également apporté quelques éléments inspirés par Le Carnaval des âmes de Herk Harvey, qui a été l’une des inspirations de Jelinek.

A vrai dire il n’a jamais été question d’adapter fidèlement le roman. Nous l’avons utilisé comme l’une de nos sources principales, en laissant la porte ouverte à tout ce que nous avons trouvé dans nos visites, avec les gens, avec le paysage, à ce qui se passait dans le monde (avec les réfugiés syriens tous les soirs aux infos) ou dans nos vies personnelles… Et l’obsession de Jelinek pour Le Carnaval des âmes devait aussi alimenter le script, ce qui a mené le film ailleurs. Nous avons reçu la permission de Jelinek elle-même. Elle nous a dit quand nous l’avons rencontrée la première fois que l’écriture de ce livre lui avait sauvé la vie – et nous avons pris cela comme mission : le film devait aussi sauver notre vie à nous, changer nos vies et changer la vie des gens qui travailleraient avec nous. Elle nous a donné la permission de vraiment nous approprier l’histoire. Elle a dit que le livre était son travail et qu’elle en avait fini avec ce travail — nous pouvions faire ce que nous voulions, et c’était libérateur : ne pas être liés à l’idée d’une adaptation stricte.

Votre film prend au sérieux le cinéma d’horreur avec quelques très belles idées – mais c’est aussi un film hilarant. Comment avez-vous fait fonctionner ces différents tons ensemble ?

Nous étions, pour Die Kinder der Toten, très intrigués par l’horreur parce que nous n’avions jamais traité de ce genre auparavant. Alors nous avons consommé toutes sortes de films de zombies et/ou d’horreur (Blood Feast, La Nuit des morts vivants, Shining, Suspiria) à la recherche des règles du jeu – comment y joue t-on ? Cela nous a aidés à avoir une sorte de structure à partager avec le public comme avec nos collaborateurs comme point de départ. Les gens apportent leurs connaissances culturelles et leurs attentes avec eux, et vous avez une sorte de langage commun avec lequel on peut travailler.

Mais nous nous intéressions aussi à d’autres genres cinématographiques – dès le début du processus, nous nous intéressions aux genres cinématographiques allemands et autrichiens dits de « bergfilme » et de « heimat » — ces types de films qui dépeignent une sorte de version idyllique de la vie rurale allemande et autrichienne. Dans les montagnes, l’homme dans la nature, généralement tournés en extérieur – ces films qui sont considérés presque comme un genre culturel à l’image du western en Amérique, avec ses paysages romancés, etc. Et bien sûr, nous faisions un film muet, donc nous nous engagions aussi dans la tradition du cinéma muet, qui rencontre de bien des façons l’idée de cinéma d’horreur. Une partie de l’équilibre et des changements de tonalités dans le film, je pense, provient de ce choc de genres cinématographiques dissonants (et en fin de compte, cela vire en slapstick comique muet à la tonalité assez vulgaire, puis culmine en strip-tease dans l’Alpenrose…).

Et puis – comme souvent lorsqu’on travaille dans des situations où l’on n’est pas en parfait contrôle – les choses qui se produisent sont drôles parce qu’elles ne correspondent pas à ce qu’on attend, à ce qui est bien. On travaille avec ce qui est à disposition, et on a le sens de l’humour. Nous essayions de dire oui à ce qui se passe dans ces situations. Par exemple, les crêpes palatschinken sur les visages – je ne pense pas que nous ayons eu cette idée dès le début d’en mettre sur toutes les têtes. Nous voulions juste avoir ces crêpes à l’auberge parce que c’était quelque chose que nous avions beaucoup mangé lors de nos visites, et puis un jour mon partenaire Pavol mis un de ces sur son visage pour s’amuser, et en fait c’est un peu flippant. Il ressemblait un peu au mec d’Halloween. Et puis tout le monde a mis ces crêpes sur son visage, et vous voyez le résultat. Oui, il y a la mise en scène que vous avez prévue, mais il faut aussi garder les yeux ouverts sur ce qui se passe et trouver un moyen de suivre cela. Et ne pas tenir trop fermement à cette idée de le faire « comme il faut » ou comme vous l’aviez exactement scénarisé. Dans un sens – en faisant ce travail avec des amateurs, avec les moyens disponibles – sans filet, pour ainsi dire – vous êtes constamment en équilibre entre l’horreur et l’humour. C’est une évaluation honnête de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

On est d’énormes fans de cinéma. Nous vivions juste à côté de l’Anthology Film Archives à New York, et nous y avons dévoré avec avidité des centaines de films pendant des années. Nous avons une affinité particulière avec le travail de la Nouvelle Vague – en particulier Jacques Rivette – ses explorations du théâtre, du temps, de l’endurance, du jeu… c’est un peu comme s’il était de la famille. L’avant-garde new-yorkaise et le cinéma expérimental des années 1960 nous sont également très chers – Jack Smith, Ken Jacobs, les frères Kuchar (George et Mike) – dans leur passion pour le cinéma et l’histoire du cinéma, ainsi que dans leur esprit de jeu et leur capacité à utiliser des moyens très modestes : des costumes trouvés à la poubelle, des amis et la famille utilisés en tant qu’acteurs – tout en ayant une très grande ambition artistique dans ces conditions particulières. C’est leur vision intransigeante d’une œuvre. Je m’identifie beaucoup à cela — c’est vraiment de là que nous venons.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ? 

En ce moment je suis en train de lire 2666, le roman de Roberto Bonalo, et ça me semble totalement inédit. C’est la première fois que je lis ça. Il n’est pas un nouveau talent à proprement parler, mais la façon dont il envisage la narration… cela m’inspire beaucoup. Et puis « neuf » c’est assez relatif. Il faut que vous soyez réceptif à ce moment-là pour que ça fasse effet sur vous.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 12 juillet 2019. Un grand merci à Melanie Friedl.

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