Entretien avec Keith Thomas

The Vigil est le premier long métrage de l’Américain Keith Thomas. Ce film raconte l’histoire d’un New Yorkais qui, après avoir quitté la communauté juive orthodoxe, accepte à contrecœur d’assurer la veillée funèbre d’un membre décédé de ce groupe religieux. Sélectionné à Toronto et à Sitges, ce film d’horreur atmosphérique et diablement efficace a fait sa première française en compétition à Gérardmer. The Vigil sort ce mercredi 29 juillet dans les salles et Keith Thomas est notre invité…


Vous avez dit en interview que l’horreur était votre genre favori. A vos yeux, qu’est-ce que l’horreur autorise et que les autres genres ne permettent pas ?

L’horreur est un genre primitif. Bon nombre des toutes premières histoires que les gens ont racontées, assis autour d’un feu, regardant fixement l’obscurité, étaient des histoires d’horreur. Elles parlent de nos peurs les plus profondes, de nos inquiétudes et, paradoxalement, de nos désirs. J’aime à la fois la structure de la narration horrifique et les mythologies plus profondes dans lesquelles l’horreur puise. Parce que c’est un genre dans lequel l’histoire et l’atmosphère ont autant d’importance l’une que l’autre, parce que vous avez une certaine liberté d’explorer des thèmes potentiellement controversés ou de présenter des communautés et des cultures avec lesquelles le public n’est peut-être pas familier. Et puis je suis tout à fait enclin à tout ce qui touche au fantasmagorique.

Comment avez-vous travaillé sur l’atmosphère visuelle de The Vigil avec votre directeur de la photographie Zach Kuperstein ?

Zach et moi avons passé beaucoup de temps à nous préparer – à la fois techniquement (quelles lentilles utiliser) et au niveau de l’histoire (quelle palette de couleurs et quel éclairage privilégier autour du thème de la mort). Nous avons pris les storyboards que j’avais faits pour le film et on a établi une liste de plans incroyablement détaillée que nous avons ensuite transformée en un tableau de photos – c’est-à-dire qu’on a pris des photos de chaque plan du film (avec moi à la place des acteurs) pour créer ce qui ressemblait à un flipbook. On pouvait voir tout le film juste en feuilletant ces images. Il était également très important de trouver l’atmosphère qui correspond et pendant la production, nous étions hyper-concentrés sur le maintien d’une cohésion visuelle pour chaque plan. Capturer l’obscurité, sonder ses profondeurs comme des plongeurs en eau profonde, était notre objectif.

La maison joue un rôle important dans la tension de The Vigil. Comment l’avez-vous trouvée et comment avez-vous travaillé sur ce décor ?

Nous avons eu beaucoup de chance avec la maison. Elle appartenait à l’un de nos producteurs. Il ne l’avait achetée que quelques semaines avant notre tournage et nous l’avons laissée complètement intacte. C’était auparavant la maison d’une femme âgée et c’est comme s’il y avait encore un peu de son histoire à l’intérieur. Transformer cette maison en une maison hassidique, cependant, a pris beaucoup de temps. Ma brillante décoratrice, Liz Toonkel, a travaillé sans relâche avec nos consultants pour s’assurer que chaque recoin du lieu était authentique – jusqu’aux bonbons à la menthe d’un magasin très particulier à Borough Park que vous pouvez voir dans un bol en verre sur la table basse. En dehors de l’authenticité, mon autre objectif était d’essayer de faire de chaque pièce dans cette maison son propre « monde » – chacune a sa propre palette de couleurs, son propre sentiment.

Plusieurs éléments de The Vigil m’ont rappelé la j-horror : l’atmosphère très glauque et perturbante, l’attention particulière à l’obscurité et à ce qui est invisible, et certaines citations visuelles. Etait-ce une inspiration pour vous ?

Je suis un fan de j-horror mais aussi de films d’horreur coréens. J’ai toujours trouvé que suggérer une horreur invisible plutôt que de la montrer pleinement constituait le moyen le plus efficace de créer une atmosphère d’effroi. Cette tension qui précède la révélation, c’est ce que j’aime le plus. J’ai puisé dans un certain nombre de films pour le look et les sensations de The Vigil. Parmi ces références se trouve L’Echelle de Jacob d’Adrian Lyne, La Nuit des diables de Giorgio Ferroni, Possession d’Andrzej Zulawski, Kaïro de Kiyoshi Kurosawa, The Childhood of a Leader de Brady Corbet, 2 sœurs de Kim Jee-woon et Angel Dust de Sogo Ishii. C’est un mélange qui est assez vaste, c’est sûr, mais dans chacun de ces films, je pense que vous pouvez trouver des bouts de l’ADN de The Vigil.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Je suis un insatiable lecteur et spectateur. Je prends un grand plaisir à découvrir de nouvelles œuvres de nouveaux créateurs, ou d’anciennes œuvres de créateurs bien connus qui sont nouveaux pour moi. Il n’y a rien de tel que le frisson de découvrir une nouvelle voix ou une nouvelle vision passionnante. Par exemple, je viens de lire une nouvelle traduction de Samalio Pardulus d’Otto Julius Bierbaum par Wakefield Press aux États-Unis. Il s’agit d’un roman gothique délirant de 1908, et qui est autant rempli de vie aujourd’hui qu’il était choquant à l’époque.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 23 janvier 2020. Un grand merci à Michel Burstein. Crédit portrait : Susanna Sáez

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