Entretien avec Kazuhiro Soda

Professeur Yamamoto part à la retraite part à la retraite est l’une des pépites de l’année. Découvert à la Berlinale, ce documentaire raconte les derniers instants de la carrière d’un psychiatre ayant consacré sa vie à ses patients et qui va partir à la retraite. La méthode d’observation du Japonais Kazuhiro Soda fait une nouvelle fois merveille avec ce film bouleversant. Professeur Yamamoto sort en salles le 4 janvier 2023. Soda est à nouveau notre invité après notre précédent entretien réalisé pour Inland Sea.


Quel a été le point de départ de Professeur Yamamoto ?

En 2008, nous avons réalisé notre deuxième film d’observation intitulé Mental (dont le titre japonais était Seishin), et qui mettait en scène des patients d’une petite institution psychiatrique qui s’appelle Chorale, à Okayama.  À l’époque, je m’intéressais au monde des patients et je ne m’intéressais pas beaucoup à leur médecin Masatomo Yamamoto, qui avait l’air somnolent la plupart du temps. Mais il est vite devenu évident que le Dr Yamamoto était un médecin extraordinaire, digne de la confiance de ses patients et indispensable à leur survie. J’ai aussi appris qu’il était un pionnier qui a ouvert les portes de services d’hôpitaux psychiatriques dans les années 1960. 

Kiyoko (Kashiwagi, productrice de Soda, ndlr) et moi avons donc développé notre désir de faire un film sur lui, mais 10 ans se sont écoulés sans rien faire. Puis, au début de 2018, nous avons appris qu’il prenait finalement sa retraite. Nous pensions que c’était notre dernière chance de faire un film sur lui, alors nous avons commencé à filmer sans avoir aucune idée du genre de film que cela allait être. 



Dans votre film précédent, Inland Sea, vous filmiez un monde qui est sur le point de disparaître. Dans Professeur Yamamoto, vous racontez les histoires de personnages arrivés à un stade avancé de leur vie. Dans quelle mesure diriez-vous que votre but dans ces films est de conserver et fixer des souvenirs?

Nous prenons des photos lorsque nous voyageons ou lorsque nous retrouvons nos vieux amis, n’est-ce pas ? En d’autres termes, nous prenons des photos lorsque nous avons le désir de préserver les moments précieux et transitoires qui auront disparu dans l’instant suivant. La même chose s’applique au cinéma documentaire. Pour moi, un documentaire est comme une capsule temporelle qui préserve des moments importants. Et vous pouvez même partager ces moments avec le reste du monde ! 



Dans vos « 10 commandements », il y a cette règle : «On ne met pas en place un thème ou un but avant le montage ». Mais à quel moment avez-vous remarqué que le sujet de votre film passerait de la fin de carrière de votre personnage principal à sa relation avec sa femme ?

Pendant que je filmais le Dr Yamamoto et Yoshiko chez eux, j’ai eu l’impression que cela pourrait devenir un film sur leur couple. Quand je les ai suivis visitant le cimetière, c’est devenu encore plus évident. Et puis pendant le montage, quand nous avons eu l’idée d’insérer des images en noir et blanc de Yoshiko à partir de 2007 quand nous avons tourné Mental, j’ai été convaincu.



Pouvez-vous nous en dire plus sur la plate-forme intitulée « Temporary Cinema » que vous avez mise en place pendant la pandémie ?

La sortie en salles de Professeur Yamamoto au Japon était prévue le 2 mai de cette année, soit en plein confinement. J’ai d’abord proposé de reporter la sortie d’un an ou deux, mais le distributeur du film Tofoo craignait que les salles d’art et essai ne survivent pas à la pandémie si tout le monde reportait la sortie des nouveaux films. J’ai réalisé qu’ils avaient raison.  Nous avons donc décidé de mettre en place la plate-forme « Temporary Cinema » pour sortir de nouveaux films, dont Professeur Yamamoto, en ligne.

La grande différence par rapport au streaming en ligne habituel, c’est que nous faisons payer le prix habituel d’un ticket de cinéma au Japon (environ 15 euros) et distribuons 50% du box-office aux cinémas que les spectateurs choisissent eux-mêmes, afin de pouvoir générer des revenus pour les salles même lorsque celles-ci sont contraintes d’être fermées. En d’autres termes, nous avons essayé de maintenir vivant l’écosystème cinématographique en ligne afin que nous, cinéastes, distributeurs et exploitants, puissions tous survivre à la pandémie. Je n’étais pas particulièrement heureux de sortir Professeur Yamamoto en ligne avant les vraies projections en salles, mais j’ai pensé que c’était nécessaire parce que l’aide du gouvernement était presque inexistante.



Dans une interview, vous avez déclaré : « Nous faisons nos films afin qu’ils puissent être vus au cinéma. J’aurais aimé que vous voyiez Professeur Yamamoto dans une salle de cinéma bondée ». Pouvez-vous nous dire pourquoi, selon vous, regarder des films dans un cinéma est fondamental ?

Parce que c’est une expérience collective. Nous, les êtres humains, sommes des créatures sociales et il est essentiel et nécessaire de se rassembler en un seul endroit ! C’est pourquoi l’histoire des festivals, des salles, des danses et de la musique est aussi ancienne que l’histoire humaine. L’invention du cinéma en est une extension, je crois. Même dans une salle sombre, nous communiquons les uns avec les autres. Quand quelqu’un rit lors d’une certaine scène, vous pouvez découvrir quelque chose de drôle que vous n’auriez peut-être pas remarqué si vous regardiez le film seul à la maison. 

Avez-vous déjà un nouveau projet ?

Oui. Nous avons un film que je suis en train de monter. En 2017 à Detroit, nous avons filmé un homme qui est sorti de prison après 50 ans. Incarcéré à l’âge de 17 ans en 1967, il est sorti à l’âge de 67 ans. Nous avons pu le filmer dès qu’il est sorti. Nous l’avons tourné il y a près de 4 ans, mais nous avons eu peu de temps pour le monter parce que durant cette période, nous avons terminé et sorti 3 films : Inland Sea, The Big House, et Professeur Yamamoto.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 19 novembre 2020.

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