Entretien avec Juan Mónaco Cagni

Révélation venue d’Argentine, Ofrenda vient de remporter il y a quelques jours à peine l’Abrazo du meilleur film au Festival Biarritz Amérique Latine (que vous avez pu suivre en direct sur Le Polyester). Quasiment dépourvu de dialogues, ce long métrage hypnotisant suit deux femmes qui voyagent à travers le temps dans des paysages déserts. Rencontre avec son tout jeune auteur, Juan Mónaco Cagni, âgé de 21 ans.


Quel a été votre parcours avant Ofrenda ?

En ce qui concerne l’audiovisuel, avant Ofrenda j’ai principalement réalisé des courts métrages ainsi que quelques expérimentations avec des caméras DSLR. Je faisais ça avec des amis, des voisins ou toute personne qui souhaitait contribuer à ces explorations et y apporter ses idées. C’était ça mon école de cinéma. C’est avant tout comme ça que j’ai appris ce que c’était que faire un film.

En ce qui concerne les études, j’ai étudié la philosophie (même si je n’ai pas terminé ma cursus). Cela m’a beaucoup inspiré et m’a permis de faire des lectures passionnantes. Bien que je ne m’intéresse qu’à certains auteurs spécifiques (comme Heidegger, Nietzsche, Héraclite, pour n’en nommer que quelques uns), cela m’a ouvert le cœur et permis de ressentir la vie plus intensément. La lecture de poètes tels que Orozco, Pessoa ou Pizarnik m’a également beaucoup marqué.

Vous avez tourné Ofrenda dans une région bien particulière, à la fois accueillante et bizarrement déserte. Est-ce le lieu du tournage ou bien l’histoire qui a servi de point de départ au film ?

Je dirais que le point de départ se situe quelque part entre les deux : il s’agit du temps et surtout des rythmes qui sont indissociables de certains endroits que j’ai traversés dans ma vie. Le rythme paisible de certains environnements sauvages ainsi que la sérénité qui habite ces lieux ont naturellement donné lieu à cette image de deux femmes qui vont et viennent à travers le temps. Mais pour vous dire la vérité, c’était très intuitif, il n’y avait presque pas de scénario (seulement environ 5 ou 10 pages), et il a quasi entièrement fini à la poubelle! Notre façon de travailler à consisté à maintenir un lien sensible avec le temps propre à l’espace où nous nous trouvions : nous taire et lui laisser la place pour qu’il s’exprime.

Pourquoi avoir choisi ce format d’image carré, qui évoque des archives intimes ?

Ce format 4:3 avec des bords arrondis m’a donné le sentiment de singularité. D’autre part, je me sentais à l’aise avec ce cadrage en format carré. Mais ce n’était pas une décision réfléchie, c’était quelque chose d’assez intuitif.

Comment avez-vous choisi la musique, qui revient comme un leitmotiv et participe à l’hypnose générée par le film ?

Les lieux dans lesquels nous avons filmé m’ont donné l’impression de se situer au-delà même de l’Histoire. C’est le sentiment qu’ils ont fait naître en moi. C’est comme si quelque chose était présent dans ces lieux et qui allait au-delà d’une limite géographique précise, au-delà d’une réalité culturelle particulière – quelque chose de flottant qui nous calme et nous envoute. Je pense que certains endroits peuvent être auréolés de magie et conserver ce quelque chose d’intemporel dont je parle. Dans ce contexte, j’ai estimé nécessaire de trouver un leitmotiv qui aiderait à décompresser et canaliser à des moments précis, qui évoquerait l’écho d’une sédimentation générée par les scènes précédentes.

J’ai évoqué tout cela avec le compositeur Bruno Fitte et nous avons travaillé ensemble, en esquissant des brouillons musicaux, à la recherche de l’intensité sonore qui nous semblait aller de pair avec ces sentiments que j’évoque. La vérité, c’est que c’est Bruno qui a fini par trouver tout seul cette belle mélodie.

Qui sont vos cinéastes préférés ?

Ma réponse changerait peut-être demain, mais aujourd’hui je pourrais mentionner certains noms tels que Sharunas Bartas, Andrei Tarkovski, Bruno Dumont, Carlos Reygadas, ainsi que quelques films de Franco Piavoli, Theo Angelopoulos, Alexandre Dovjenko, Carl Theodor Dreyer, Nuri Bilge Ceylan, Apichatpong Weerasethakul, Bela Tarr. La liste est longue et ouverte!

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 2 octobre 2020. Un grand merci à Jean-Charles Canu.

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