Biarritz Amérique Latine | Critique : Ofrenda

Deux jeunes femmes se retrouvent à la périphérie d’une petite ville de province de la pampa argentine. Elles errent dans des entrepôts désolés et autres bâtiments en ruine. Enfants, en été, elles courraient et s’amusaient ensemble dans les champs non loin de là…

Titre
Argentine, 2020
De Juan Mónaco Cagni

Durée : 1h05

Sortie : –

Note :

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Il est en général assez simple de répondre à la question: « combien de personnages y a-t-il dans tel ou tel film » ? A fortiori dans les cas où le chiffre ne dépasse pas 5. C’est le cas d’Ofrenda, qui n’offre pourtant pas de réponse claire, et préfère tisser un flou intrigant autour de ses protagonistes. Dans un recoin de la pampa argentine, deux fillettes baguenaudent dans les pâturages. En parallèle, deux jeunes femmes qui leur ressemblent errent dans les ruines d’une zone industrielle. S’agit-il des mêmes personnes à différents stades de leurs existences? Se retrouvent-elles dans le même lieu à deux époques différentes de leur vie? L’une des deux paires n’existe-elle que dans la tête des autres?

Pas de dialogue, pas d’explication, pas de psychologie, et un fil narratif fragile et passionnant à remonter nous-mêmes: D’une durée d’à peine plus d’une heure, Ofrenda est modeste en apparence mais maousse dans son ambition. Le tout jeune cinéaste argentin Juan María Mónaco Cagni (21 ans!) impressionne par le pouvoir d’évocation de sa mise en scène et de son montage. Rien qu’en filmant les choses les plus tangibles et les plus immuables (un arbre, une rivière), il leur donne la dimension épique : celle du passage du temps. Dans une dynamique qui n’est pas sans rappeler celle du roman graphique Ici de Richard McGuire, ou par moments les œuvres de Lisandro Alonso et Apichatpong Weerasethakul, c’est un lieu anonyme qui sert de point de repère à des variations temporelles anonymes et pourtant poignantes.

Dans les deux parties, les personnages féminins sont seuls au monde. Chez les fillettes, cela prend des airs d’émerveillement dans une nature sans limite. Chez les adultes, l’errance dans des bâtiments industriels abandonnés parait évoquer la recherche vaine d’un paradis perdu : celui de l’enfance? D’un temps où l’Homme était plus proche de la nature ? Celui d’une relation intime aux liens défaits (ces deux adultes ressemblent véritablement à des amoureuses solitaires dans une ville morte, comme dans la chanson) ? Mais moins qu’une opposition manichéenne entre passé et présent, Ofrenda met en scène un langoureux mystère : il y a un émouvant poids fantomatique sur les épaules des personnages, et qui voile le film entier. C’est comme si le film lui-même se taisait pour nous faire entendre les voix du passé et du futur, rien que ça. Sous d’austères apparences, Ofrenda est un authentique voyage dans le temps de poche.

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par Gregory Coutaut

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