Entretien avec Johnny Ma

Révélé à la Berlinale avec son polar très noir Old Stone, resté inédit dans les salles françaises mais édité en dvd par Spectrum Films, le Chinois Johnny Ma change de registre avec Vivre et chanter. Ce drame, aux touches musicales et surréelles, raconte le crépuscule d’une troupe d’opéra chinois. C’est un beau film rempli de vie qui faisait partie des bonnes pioches de la Quinzaine des Réalisateurs. Vivre et chanter sort ce mercredi 20 novembre en France et Johnny Ma est notre invité de ce Lundi Découverte.

Quel a été le point de départ de Vivre et chanter ?

C’était après mon premier long métrage Old Stone. J’ai été engagé pour faire un documentaire sur la vie quotidienne d’une troupe d’opéra du Sichuan, c’était un film pour la télévision, consacré à deux très grands acteurs en Chine. C’était une pure commande. Mais quand j’ai rendu visite à Zhao Li et à sa famille, j’ai tout de suite su que le film serait tellement plus spécial si je travaillais avec ces vraies troupes d’opéra afin qu’elles jouent leur propre rôle dans un film. Ils m’ont rappelé des troupes de cirque itinérant, ou des personnages d’Ozu. J’ai toujours été intrigué par les personnages qui sont nés au mauvais moment, et c’est certainement vrai pour ces acteurs d’opéra qui à un moment donné ont été les célébrités les plus populaires dans le Sichuan. Après avoir remis mon script, j’ai attendu 8 mois et comme les producteurs originaux n’ont rien fait avec le projet, j’ai demandé les droits de l’histoire à nouveau afin de la réaliser à ma façon.

Vivre et chanter est un drame mais il y a des touches de comédie musicale, un peu de surnaturel… Comment avez-vous accordé ces différents tons pour faire un film qui semble si rempli de vie ?

Pour moi, l’histoire et la vie des protagonistes dans Vivre pour chanter fonctionnent elles-mêmes comme un opéra chinois. C’est pourquoi les personnages d’opéra (comme le nain) commencent à s’injecter dans la vie du personnage principal. Je voulais montrer que la magie peut se manifester dans la vie de tous les jours. Les numéros musicaux et le surréalisme magique incarnent cela. Je veux inviter le public à vivre cette expérience émotionnelle, qu’ils regardent un opéra chinois en même temps qu’ils regardent Vivre et chanter – dans toute sa magie et son imagerie fantastique.

Un amateur d’opéra chinois traditionnel serait probablement en désaccord pour dire que c’est un opéra chinois. Cela s’explique par la façon dont j’ai été influencé par l’opéra occidental ; et par ailleurs je voulais faire un film qui puisse aussi intéresser et émouvoir un public occidental qui ne connaît peut-être rien de cette forme d’art. D’une certaine façon, c’est la raison pour laquelle j’ai choisi l’Argentine comme endroit où j’ai fait tout le travail de montage et de post-production. Je voulais que le public argentin soit mon premier public-test pour le film. Parce que si je peux les captiver, eux qui ne savent rien de l’opéra chinois, alors cela signifie que le film peut peut-être traverser les cultures.

Comment avez-vous abordé la création visuelle de Vivre et chanter auprès de votre directeur de la photographie Matthias Delvaux, pour cette histoire qui semble très éloignée de votre précédent film Old Stone ?

L’histoire d’Old Stone débutait normalement mais se transformait peu à peu en cauchemar. On a joué avec les codes de l’horreur et du film noir. Pour Vivre et chanter, un film qui devient son propre opéra, nous avons travaillé avec les codes de l’opéra chinois et des formes musicales. Ces éléments de genre ne sont peut-être pas aussi reconnaissables que les conventions du film d’horreur, mais pour ceux qui connaissent cet art, ils sont bel et bien là.

Je ne dis jamais à mes collaborateurs que mon film devrait être comme ce film ou cet autre film. J’ai l’habitude de donner quelques références opposées, et je dis, nous allons trouver notre film quelque part au milieu … Et pour Vivre et chanter, nous avons regardé Herbes flottantes d’Ozu, pour la dynamique familiale et la sensation du passage du temps. Pour les éléments surréalistes, Les Chaussons rouges de Pressburger et Powell a été une énorme influence dans la façon dont nous avons abordé notre séquence surréelle de combat. La seule chose qui différencie vraiment les deux films, ce sont les émotions sur lesquelles ils s’appuient. Dans Old Stone, c’était de la colère pure, et dans Vivre et chanter c’était un sentiment familial et de nostalgie que je cherchais.

Quels sont vos réalisateurs favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Werner Herzog, Abbas Kiarostami qui m’apprennent beaucoup. Pour moi, ce sont de purs conteurs. Il ne s’agit pas des moyens que peuvent apporter une équipe ou le matériel : vous pouvez leur donner un téléphone et ils vous feront un chef d’œuvre sur que l’existence humaine.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

J’ai adoré regarder Rodéo de Gabriel Mascaro ou The Act of Killing de Joshua Oppenheimer. Voilà du cinéma excitant dont j’aimerais faire partie. Et puis ce diamant, An Elephant Sitting Still de Hu Bo. Le réalisateur a littéralement donné sa vie pour faire ce film. Et on peut le ressentir. C’est un film très rare car son âme est dans le film. L’histoire de Hu Bo est une tragédie, mais le film est un vrai bijou.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 5 novembre 2019. Un grand merci à Claire Vorger.

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