Entretien avec Johannes Nyholm

C’est l’un des sommets de l’année : Koko-di koko-da sort le 13 novembre en salles. Ce film est un conte dingo sur un couple confronté à la tragédie. Ils sont amenés à vivre et revivre leur cauchemar en boucle. Révélé par le déjà incroyable (et inédit) The Giant, le Suédois Johannes Nyholm est l’un des plus excitants nouveaux talents du cinéma actuel. Il est notre invité de ce Lundi Découverte…

Le film, avec sa structure en boucle, avec l’histoire qui reprend là où on l’a laissée quand un personnage meurt, m’a semblé emprunter à la structure du jeu vidéo. Est-ce que c’est une inspiration chose que vous aviez en tête ?

Pas vraiment. Le film tient plutôt du rêve, il a la structure d’un rêve. D’une certaine manière on peut dire que j’ai rêvé du film et de sa construction. C’est une dramaturgie qui emprunte au cauchemar, avec ces personnages qui essaient encore et encore mais qui sont pris dans une boucle perpétuelle dont il est difficile de s’échapper. Cela donne un sentiment fort de claustrophobie.

Est-ce que cela vous semble juste si je décris votre film comme un conte de fées ?

Oui, tout à fait.

Parce qu’il y a dans Koko-di koko-da des éléments de fantaisie mais aussi une forme de cruauté, qui sont deux éléments propres au conte de fées. Comment avez-vous, lors de l’écriture du scénario, trouvé le bon équilibre entre ces éléments ?

Trouver cet équilibre était l’une des choses les plus difficiles. Parce qu’il y a dans le film des éléments très distincts, un peu comme si l’on tentait d’assembler des pièces de différents puzzles en un seul. C’était un travail acharné. Il y avait beaucoup de grands écarts, le film passe d’une histoire à l’autre, avec une narration et un design différents. C’était difficile de trouver une fluidité et de rendre tout cela naturel, notamment au moment du montage.

Combien de temps avez-vous passé sur ce montage ?

Beaucoup de temps, pour différentes raisons. D’abord parce que j’ai produit le film moi-même avec ma propre compagnie, avec des moyens limités. Le tournage a duré 9 ans, on tournait, on montait, on faisait une pause, on recommençait… Cela a duré des années et pendant ce temps j’ai fait The Giant. Je pensais finir Koko-di koko-da, on y était presque, et je me suis dit qu’il manquait quelque chose.

Pourquoi The Giant a t-il été plus facile à faire selon vous ?

Plus facile et plus dur. Ce qui est sûr c’est que j’avais plus d’expérience que quand j’ai débuté. Et puis c’est, si je puis dire, un film un peu plus conventionnel que Koko-di koko-da, même si au fond ce n’est pas un film conventionnel du tout. Mais un peu plus que celui-ci en tout cas. Ce qui était plus facile, c’est que The Giant est un film à plus grande échelle là où Koko-di koko-da est très minimaliste. Et dans ce cas, chaque détail fait la différence. C’était moins le cas sur The Giant, où l’on pouvait se permettre parfois moins de précision.

Est-ce qu’il y a eu quelque chose de particulier à travailler avec vos acteurs sur des scènes où ils jouent et rejouent la même chose ?

On a trouvé les deux acteurs principaux, Leif Edlund, Ylva Gallon, très tôt. On les a vu jouer ensemble. Et j’ai tout de suite su que c’était eux qu’on cherchait. Ils ont une énergie, une alchimie ensemble et c’était très important. C’était important aussi qu’ils se connaissent bien avant le tournage, comme un « vrai couple ». Au début, pour s’entrainer, ils conduisaient une voiture et moi j’étais sur la banquette arrière. Ils jouaient ce que j’avais écrit, ils se disputaient, puis improvisaient, puis on a réécrit… Et je voulais autant que possible, obtenir des choses qui viennent d’eux-mêmes, de leur propre expérience. Les connaître, et connaître leur background, a été d’une grande aide.

Beaucoup de choses sont également dues au hasard. Par exemple au départ, pour le rôle très particulier tenu par Peter Belli, je cherchais un acteur norvégien et je ne trouvais pas ce que je cherchais. Et finalement je l’ai trouvé au Danemark. Peter est un musicien connu au Danemark mais inconnu en Suède. Il avait cette énergie que je cherchais et il a, dans le passé, travaillé dans le cirque. J’ai su en une seconde qu’il était parfait pour le rôle.

Et puis on a cherché un chat. C’est difficile de diriger un chat, c’était impossible dans les bois. On ouvrait la boite et le chat s’en allait – parce qu’il y a des choses bien plus intéressantes à faire dans les bois quand on est un chat que jouer dans un film ! Alors on a cherché un chat qui vivait déjà dans les bois. On s’est dit que ce serait peut-être plus confortable. C’était difficile de trouver un chat blanc mais on y est parvenu en faisant passer une annonce. Mon actrice Ylva Gallon et moi-même sommes allés rencontrer la maîtresse du chat, et on a été choqué quand elle a ouvert la porte : elle ressemblait tellement à Ylva ! C’était comme une jumelle un peu plus âgée, un peu comme si c’était sa mère, une version plus âgée d’elle-même. Alors on s’est dit qu’il fallait dire oui à cette coïncidence et l’inclure dans le film. Beaucoup de choses sont arrivées ainsi, sans être anticipées.

L’un des aspects intéressants de Koko-di koko-da est son esthétique assez naturaliste : le cauchemar y est filmé comme une situation normale. A l’opposé, l’interprétation a quelque chose de plus visible, avec des visages expressifs, des cris, du maquillage…

Je voulais que le début du film soit naturaliste, mais qu’il y ait aussi des éléments enfantins, un côté cirque, et que cela prenne de plus en plus de place jusqu’à l’explosion. Le début est naïf comme le commencement d’une relation où tout n’est qu’un jeu, rien n’est très sérieux, presque irréel. Les protagonistes sont maquillés comme des lapins dans un conte. Puis la tragédie arrive, le maquillage coule et on accepte la réalité. C’est ce qui arrive. Et on entre dans le rêve, on se confronte au chagrin, à la tragédie, à ce qui constitue une relation de couple. On habite ce rêve monstrueux et le film n’apporte pas de réponse absolue ; comme dans un rêve il ne propose que de petites variations.

J’ai lu dans une interview que vous aviez un projet en VR.

Tout à fait. Tout à l’heure vous évoquiez le jeu vidéo et c’est vrai qu’étant enfant j’y jouais beaucoup. J’ai aussi commencé à faire de la programmation informatique. J’avais beaucoup d’idées mais elles étaient difficiles à mettre en place. Quand la VR est arrivée, dans le courant des années 90, j’ai commencé à développer un jeu qui serait plutôt de la real virtuality, basé sur ma propre réalité. C’était filmé dans mon propre appartement, c’était très réaliste, l’appart était chaotique, pas rangé… On pouvait arroser les fleurs, mettre une cassette, quelque chose qui soit à la fois réaliste et inutile. Vingt ans plus tard, la technologie a évolué et j’ai voulu y revenir. J’essaie d’expérimenter un peu tout en ayant de l’ambition. Je voudrais apprendre de nouvelles techniques, refaire de la programmation. Je ne suis pas encore sûr de ce que sera le résultat.

Vos courts et longs métrages sont des films très différents et inattendus. En tant que spectateur, quelle est la dernière fois où vous vous êtes dit « je n’avais jamais vu ça » ?

Ça m’arrive probablement moins souvent que vous (rires). En général, et pour beaucoup de raisons, je trouve que les films n’expérimentent pas assez. Le cinéma coûte de l’argent, implique beaucoup de gens et on n’ose pas aller par là. Ce sentiment d’inattendu, je l’ai davantage en voyant des films amateurs ou des films montrés dans des galerie d’art – des films qui n’appartiennent pas au circuit traditionnel.

Votre film a été montré dans beaucoup de festivals et dans des pays différents. Avez-vous noté des différences sur la façon dont il est perçu ?

Pas forcément une différence énorme. C’est un film qui teste un peu les limites des spectateurs. Certains pensent que c’est de la torture, d’autres ont adoré ça, s’y sont retrouvés. En fait souvent les gens adorent ou détestent le film.

Est-ce que vous avez passé toute l’année à répondre à des gens qui vous demandaient : « Mais de quoi parle votre film ? »

(Rires) Oui c’est la question la plus commune. C’est un drame sur un couple filmé comme dans un rêve. J’ai expérimenté tout ce qui se passe dans le film, d’une façon ou d’une autre. Des choses que j’ai vécues ou dont j’ai été témoin. J’ai combiné ces éléments et ensemble ils ont constitué le film.

Entretien réalité par Gregory Coutaut le 14 septembre 2019. Un grand merci à Estelle Lacaud et Anne-Lise Kontz. Crédit portrait : Étrange Festival

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