Berlinale 2019 | Entretien avec Ivan Marković et Wu Linfeng

Nos invités de ce Lundi Découverte sont le Chinois Wu Linfeng et le Serbe Ivan Markovic. Ensemble, ils ont réalisé From Tomorrow On, I Will, une miniature à la fois discrète et ambitieuse qui décrit l’effacement progressif d’un travailleur dans une ville-monstre. Le film était sélectionné à la Berlinale où Ivan Markovic s’est doublement distingué puisqu’il est également le directeur de la photographie de Ich war zuhause, aber… de Angela Schanelec, prix de la mise en scène. Entretien avec les deux réalisateurs.

Quel a été le point de départ de From Tomorrow On, I Will ?

Ivan : Tout est parti de l’image de personnes vivant en sous-sol, sous la ville.

Linfeng : En 2014, quand Ivan est venu à Pékin pour la première fois, nous somme allés ensemble acheter d’occasion du matériel pour filmer. Le vendeur (qui avait notre âge) vivait dans un appartement qui se situait en sous-sol, un abri anti-aérien, aux côtés de nombreuses personnes. Pour moi, ce genre d’endroit n’est pas inhabituel, mais cela a suscité beaucoup de questions chez Ivan.

Ivan : Ayant grandi dans la Serbie des années 90, je savais ce à quoi ressemblait un abri anti-aérien. Néanmoins, voir comment les locataires ont transformé ce lieu en leur foyer, l’ont nettoyé, décoré et rendu fonctionnel, ça m’a vraiment surpris. C’était, d’une certaine manière, assez touchant, avec ces posters aux murs à la place de fenêtres. Je pensais tout le temps à ces lieux, mais je n’arrivais pas à savoir comment les filmer. Puis l’idée d’un personnage principal qui regarde sans cesse les autres, qui se compare toujours aux autres, m’est venue. A partir de là, on a commencé nous aussi à observer, mais aussi à écrire et développer notre projet.

Comment avez-vous abordé le traitement visuel de cette histoire ?

Linfeng : C’est le troisième film que nous faisons ensemble et nos personnalités sont étonnamment compatibles, comme nos goûts et notre point de vue sur le cinéma.

Ivan : Il n’y avait pas de répartition nette de nos tâches, on a travaillé sur tout ensemble. J’étais également le directeur de la photographie du film ; mais les choix visuels sont venus intuitivement pour nous deux. Nous avons passé beaucoup de temps sur la recherche des lieux de tournage, des endroits chargés, denses, qui créent un sentiment agoraphobie ou de claustrophobie. Le protagoniste dort de jour sous terre, et travaille seul la nuit. Par conséquent il passe très peu de temps à la lumière du jour. Nous voulions accentuer ce choc, comme quand on sort d’un tunnel sombre et qu’on entre dans une lumière forte. Par conséquent, les extérieurs en plein jour sont brillants et colorés d’une manière assez agressive en comparaison avec le reste du film.

Seriez-vous d’accord si je vous disais que la façon de décrire les lieux et l’espace urbain dans votre film semble aussi importante que votre manière de décrire le personnage principal ?

Linfeng : Oui, le décor importe autant que les personnages. Nous souhaitions montrer comment la ville s’étend et prend de plus en plus de place. L’espace et l’architecture affectent les gens qui vivent et travaillent là.

Ivan : La ville change violemment, devenant plus moderne, plus homogène et plus impénétrable. Les travailleurs immigrés comme les ouvriers bon marché ont construit une ville qui les a repoussés. Il y a ainsi cette tension qui est véhiculée, sur la façon dont la ville et les gens évoluent dans une relation très étroite.

Ivan, vous avez également signé la photographie de Ich war zuhause aber… de Angela Schanelec qui est très impressionnant visuellement. Comment décririez-vous votre collaboration ?

Ivan : C’était vraiment un plaisir, et c’est un film très important pour moi. On a travaillé assez longtemps dessus, nous avons commencé à chercher les lieux de tournage avant même que le financement soit assuré. Nous avons beaucoup réfléchi à l’espace, au placement des corps, à la lumière, aux moindres détails ; et pourtant il était crucial que les images restent simples, qu’elles ne soient pas surchargées. C’était un processus radicalement à l’opposé du chaos du tournage de From Tomorrow On, I Will.

Quels sont vos réalisateurs favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Linfeng : Tsai Ming-Liang, Hou Hsiao-Hsien, Edward Yang.

Ivan : Pour moi, plus particulièrement Tsai Ming-Liang parmi ceux que Linfeng a cités, mais aussi Apichatpong Weerasehatkul, Chantal Akerman, Pasolini, et bien sûr Robert Bresson. En tournant ce film et en réfléchissant au jeu des acteurs, j’ai beaucoup pensé à Bresson même si ça ne saute pas forcément aux yeux en voyant From Tomorrow On, I Will.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Linfeng : Je suis souvent inspiré lorsque je regarde des films expérimentaux ou de l’art vidéo : là où le travail formel fait naître l’émotion. Et bien sûr par des films plus anciens. J’aime revoir ces films où l’on découvre quelque chose de neuf à chaque fois, comme dans Goodbye South Goodbye de Hou Hsiao-Hsien.

Ivan : Je suis souvent plus frappé lorsque je découvre un ancien film que je n’ai jamais vu, par exemple Acto de primavera de Manoel de Oliveira ou Les Rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman récemment. Parmi les films nouveaux (même s’il n’est pas si récent), je me souviens avoir été fasciné par Jauja de Lisandro Alonso.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 5 mars 2019.

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