Entretien avec Cristèle Alves Meira

Remarquée à la dernière Semaine de la Critique avec son premier long métrage, Alma Viva, la Franco-Portugaise Cristèle Alves Meira a réalisé avant cela le court métrage Tchau tchau qui figurait en compétition au dernier Festival Côté Court. Pendant le confinement, une fillette communique avec son grand-père par Zoom. Mais, séparée de lui par un océan, comment pourra-t-elle lui dire au-revoir ? Brouillant finement la frontière entre doc et fiction, Cristèle Alves Meira offre une réflexion sensible sur le deuil et réussit un délicat portrait d’enfance. Retour sur notre entretien à l’occasion de la sortie en salles de Alma Viva.


Quel a été le point de départ de Tchau tchau?

Ce film est né pendant le premier confinement, quand le monde s’est arrêté, avec un sentiment d’urgence, un besoin de raconter ce moment si particulier de l’histoire où une pandémie nous a coupés d’un rite fondamental de la civilisation humaine : celui de nous rassembler pour enterrer nos morts. Il a donc fallu s’adapter et inventer de nouvelles façons de se dire au revoir et de se rassembler, c’est dans ce contexte que les familles ont commencé à se réunir sur Zoom ou sur Facebook, à organiser des funérailles virtuellement.

J’ai vécu cette histoire de façon plus directe, lorsqu’une amie de mes parents d’origine portugaise est décédée et que son corps a été conservé pendant des semaines dans les chambres réfrigérées de Rungis, affectées exceptionnellement aux nombreux morts en attente d’asile. Il est fréquent dans les familles d’expatriés (les Maghrébins, Africains, Portugais) de vouloir retourner dans son pays natal au moment de sa mort. Mais dans ce contexte de crise sanitaire, ils se sont vu interdire le rapatriement des défunts dans leur pays de naissance. L’attente des funérailles a été longue pour cette amie de la famille. Après l’ouverture des frontières, lorsqu’elle était enfin arrivée dans son village au Portugal, il lui a fallu attendre pour pouvoir bénéficier d’une messe. Attendre que les mesures sanitaires permettent au prêtre d’officier, que les cimetières ouvrent à nouveau leur porte aux familles.

Cette impossibilité à se voir, à se dire au revoir, m’a semblé être un sujet qu’il fallait aborder au cinéma. Et puis, à titre personnel, pendant le confinement mes parents sont restés bloqués au Brésil, nous avons vécu une relation à distance pendant dix mois. L’angoisse de ne plus jamais se revoir m’a définitivement convaincue qu’il fallait tourner ce film. Dans un acte presque primitif, j’ai choisi de mettre en scène la mort de mon père, une façon de conjurer le sort d’une certaine façon.

Tchau tchau

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous avez confectionné les images de vidéo Zoom et la façon dont la frontière entre documentaire et fiction se gomme dans Tchau tchau ?

Alors que nous étions tous confinés, il fallait faire avec ceux qui m’entouraient. J’ai donc filmé à la maison, en famille. J’ai mis en scène mon père (qui était alors réellement confiné au Brésil) dans sa relation avec ma fille. Avec un dispositif léger qui embarque le spectateur dans un endroit très intime, qui l’invite à pénétrer un espace privé, secret, interdit à tel point qu’on ne sait plus si on est dans la fiction ou dans le documentaire, on se demande si cela s’est réellement passé ? Même si d’apparence documentaire (dans sa facture) le film glisse petit à petit dans la fiction…

Pour mettre en scène les funérailles sur Zoom, je me suis directement inspirée de la façon dont se déroulaient les cérémonies virtuelles proposées par les pompes funèbres pour combler l’impossibilité de se réunir. Des amis ont accepté de jouer le jeu depuis chez eux, j’ai fait appel à un comédien de Lisbonne (Elmano Sancho) pour jouer le prêtre. Il y avait une équipe de tournage au Portugal et une autre en France. La dynamique de la visioconférence a été ensuite retravaillé au montage et en VFX, les split-screens sont d’une grande richesse formelle, ils permettent de faire circuler le regard, de créer une temporalité particulière. Je n’avais jamais pensé avant à utiliser les outils de communication actuelle pour en faire du cinéma. C’est la réalité du terrain, le contexte dans lequel nous étions qui m’a imposé de faire avec ce champ lexical-là parce que c’était au cœur même du sujet de mon film.

Tchau tchau

Votre court métrage comme votre premier long, Alma Viva, traitent de la mort et plus particulièrement du rapport de l’enfance à la mort. Qu’est-ce qui vous intéresse et vous touche particulièrement dans ce thème ?

La mort est un sujet fascinant pour le cinéma parce qu’elle ouvre le champ du mystique et de l’insaisissable. C’est l’un des plus grands mystères de la vie. Le cinéma a cette capacité de rendre acceptable la mort, si intransigeante. Il nous offre la possibilité d’aller voir au-delà du visible, d’aller questionner la part secrète des choses. Regarder le mort à hauteur d’enfant c’est avoir la possibilité de lui donner une dimension onirique naturellement, de faire surgir la magie de situations ordinaires, de faire tomber le tabou qui encadre ce sujet. Parce que le regard de l’enfant est sans filtre, sans jugement, il est libre de sortir des représentations habituelles.

Dans Tchau tchau, ce qui m’intéresse dans l’âge de la petite fille (Lua Michel, 8 ans) c’est le fait qu’elle soit isolée dans le territoire de l’enfance, qu’elle vive ses émotions en décalée de celles de sa mère. Elle ressent la nostalgie et le manque de son grand-père, alors elle élabore ses propres rituels, elle créé un totem et lui écrit un poème, c’est une façon pour elle de ré-enchanter son espace vital, de ramener du merveilleux en contraste avec cette façon désincarnée qu’ont les adultes de se rassembler sur « zoom » pour des funérailles virtuelles. La petite fille fait preuve d’une certaine capacité d’imagination, elle déforme le réel et s’invente une manière d’être au monde. Elle ne ressent pas encore cette angoisse du devenir, même si elle doit surmonter sa peine.

Dans Alma Viva, on retrouve la même petite fille, un an plus tard, qui doit faire face au deuil de sa grand-mère qui meurt dans des circonstances étranges et mystérieuses. Le récit se déroule dans un petit village reculé des montagnes du nord est du Portugal, une région où les esprits et les sorts s’invitent chez les vivants. Là encore, la fillette avance en solitaire, avec ses croyances et ses terreurs nocturnes, elle se confronte à l’ennemie de sa grand-mère avec le feu dans les yeux. Instinctive, entière, elle fait preuve d’une certaine fascination pour toutes les choses de la vie et de la mort aussi. Lorsqu’elle nous regarde avec ses grands yeux à la fin, on est saisi par la jubilation qui habite son regard. Elle n’a rien de vulnérable. Sa vision du monde est chargée de merveilleux grâce au lien puissant qu’elle entretient avec l’invisible. Elle nous donne le sentiment que ce qu’elle a vécu (son deuil) sera déposé au fond d’elle pour toujours mais c’est ce qui fait sa force.

Alma Viva

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Ça dépend beaucoup des périodes de ma vie. Les premiers à m’avoir marquée, à l’adolescence, sont John Cassavetes et Kim Ki-duk. Et puis, j’ai eu ma période Ingmar Bergman, quel maître ! Abbas Kiarostami a aussi beaucoup compté pour moi. Parce qu’il ne cède jamais à un naturalisme paresseux. On retrouve dans sa mise en scène les traces du passage de la fiction dans le réel.

J’ai découvert récemment La Gueule ouverte de Maurice Pialat. Je me suis prise une grande claque. J’avais vu À nos amours seulement. Du coup, ça m’a donné envie de voir tous ses films et de lire La Main, les yeux de Jérôme Moncilovic. Pialat vénérait le réel, il allait le filmer et le chercher jusqu’à l’os sans limite. J’ai d’ailleurs été surprise d’apprendre qu’il aimait les récits fantastiques. J’en suis là en ce moment, à me dire que le cinéma c’est peut-être une façon de réinvestir l’espace par le merveilleux, une façon de répondre à cette vision désincarnée du monde qui nous entoure.

Tchau tchau

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

J’ai découvert il y a quelques mois tous les films de Guillaume Brac, au Festival QIFF à Quimper, j’ai été bouleversé par la profondeur et la tendresse avec laquelle ce réalisateur raconte les relations humaines. Il pose un regard sensible sur ses personnages avec une mise en scène sobre et élégante, sans artifices, avec une certaine poésie et surtout beaucoup d’humour. J’ai ressenti un choc similaire avec les films de Camille Vidal-Naquet qui abordent des thèmes difficiles comme celui de la mort ou de la prostitution masculine avec une frontalité et une justesse déroutantes.

Leurs films sont vraiment très différents mais disons que ce qui les rapproche, de mon point de vue, c’est la pureté du geste, l’engagement sincère qu’ils ont avec leur sujet. Je me méfie beaucoup des prouesses de mise en scène au cinéma, certains films en cherchant à être démonstratif passent à côtés de l’essentiel, on ne sait plus ce qu’ils regarde, si c’est eux ou leur sujet !


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 11 juin 2022. Un grand merci à Vanessa Fröchen. Source portrait

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