Entretien avec C.B. Yi

Ancien élève de Michael Haneke, le cinéaste taïwanais-autrichien C.B. Yi signe son premier film avec Moneyboys, présenté à Cannes en 2021 dans la section Un certain Regard. D’une beauté frappante, le film fait le portrait vibrant d’un jeune prostitué et du monde qui l’entoure. Moneyboys est sorti ce mercredi 16 mars en salles et C.B. Yi est notre invité de ce Lundi Découverte.


Moneyboys est votre premier film, et sa période de gestation a été particulièrement longue, en partie à cause de son sujet. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la manière dont vous avez préparé le film ?

C’était ma première expérience sur un long métrage et cela a été une longue école. J’ai dû apprendre rapidement à faire certaines choses, et j’ai dû apprendre à refuser d’en faire certaines autres. C’est ça qui explique la longueur de la période de préparation : je ne voulais pas tout accepter sous le simple prétexte de finir le film. On dit qu’un film a besoin de beaucoup de temps et beaucoup d’argent, pour cela il faut trouver les bons partenaires. Or, il y avait certains partenaires avec qui je tenais absolument à travailler, et d’autres dont j’ai réalisé que je préférais me passer. Il a fallu que je protège l’équipe contre certains producteurs, c’était ma responsabilité en tant que réalisateur. A la base je souhaitais tourner en Chine et bien sûr nous n’avons pas pu, mais au final je suis très satisfait de la manière dont ça s’est déroulé.

Autour du protagonistes, les trois rôles féminins de Moneyboys sont tous tenus par la même actrice. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

La raison qui pousse le protagoniste à se sacrifier et faire ce métier de moneyboy, c’est indirectement sa mère. En effet, il fait cela pour gagner de l’argent et pour payer les médicaments dont elle a besoin. L’amour qu’il éprouve pour elle est très fort car il remonte à l’enfance. Après la mort de sa mère il continue son métier et on se demande alors quelle est la motivation qui le pousse à poursuive. C’est là que m’est arrivée tout à coup en tête l’image de la trinité : je visualisais trois figures féminines autour de lui qui le motiveraient de façons différentes. Par ailleurs je voulais mélanger des comédiens chinois et des comédiens taïwanais.

Or, il y avait une comédienne taïwanaise avec qui je voulais travailler : Chloe Maayan. Je lui avais déjà proposé Moneyboys deux fois lorsqu’elle a sorti un film qui a eu beaucoup de succès et pour lequel elle a été primée, et qui s’appelait Trois époux (Three Husbands). J’y ai vu comme une évidence, cela m’a confirmé dans l’idée que je pouvais proposer trois rôles féminins à la même comédienne et que cela viendrait remplacer l’amour d’une seule mère. Je lui ai donc proposé pour le troisième fois, et c’est là qu’elle a accepté.

De façon générale, on associe spontanément les plans-séquences et le silence à une forme de distance froide, or vous les utilisez au contraire pour nous rapprocher de l’intimité des personnages. Comment vous y prenez-vous ?

J’essaie dans mes films de trouver et maintenir une distance respectueuse envers mes personnages, dans le sens où je ne désire pas seulement capter leurs actions mais aussi toutes les réactions de leur entourage et des personnes autour d’eux. Si l’on est trop proche d’un personnage, on peut certes voir ses yeux mais on ne voit pas son corps, son langage corporel, on ne voit pas non plus comment les autres personnages interagissent avec lui. Je veux si possible établir une intimité entre le public et mes personnages, et je crois qu’on ne peut l’obtenir qu’avec du temps et en évitant les distractions qu’offrent un montage trop rapide. Je veux que les spectateurs regardent mes films comme un détective, qu’ils soient à l’affut. Or pour faire une filature il faut maintenir une certaine distance. Pour moi c’est une question de respect envers mes personnages mais aussi envers le public.

Vous accordez beaucoup de soin à la composition de plans, que ce soit dans les images de campagnes luxuriantes ou dans les intérieurs citadins qui ressemblent à des vitrines. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect de votre travail ?

Pour nous, la nature est extrêmement liée aux couleurs et tout ce qui est un peu chaotique. Lorsque nous sommes allés tourner dans ce village il n’y avait pour ainsi dire rien à rajouter, cette luxuriance nous était donnée dès le départ. En revanche, lorsqu’on arrive en ville, tout devient froid. Il y a encore une certaine richesse de couleurs mais celle-ci est alors tout à fait autre. Dans l’appartement de luxe où habite le protagoniste, je voulais qu’on ait l’impression que les choses n’avaient jamais été touchées, comme si elles étaient dépourvues de vie. Au village c’est tout le contraire, tout est vivant. Ce contraste était très important du point de vue du concept formel, et je tenais à ce qu’il soit flagrant à l’image. Cela montre que la vie du protagoniste en ville n’a au fond plus de valeur, il y est comme emprisonné.

Comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur, le français Jean-Louis Vialard (Tropical Malady) ?

Jean-Louis est arrivé trois semaines avant le début du tournage, de façon tout à fait imprévue. Dans ces cas-là il faut savoir réagir sans trop tarder. Or d’habitude j’aime bien prendre le temps de connaitre mes collaborateurs afin de pouvoir travailler en empathie. Quand on ne se connait pas, il peut y avoir des petits conflits, des petits discussions. Finalement je me suis rendu compte que Louis improvise souvent, qu’il réagit très vite aux idées qui lui sont proposées. On est finalement parvenu assez vite à travailler harmonieusement. Il a su réagir rapidement face aux contraintes et j’en suis ravi.Grâce à cette qualité qu’il a, on a pu prendre beaucoup de décisions directement pendant le tournage. Il a été très professionnel, alors que je n’étais qu’un cinéaste débutant. J’ai eu de la chance qu’il me soutienne.

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 26 janvier 2022. Un grand merci à Matilde Incerti. Crédit portrait : Philippe Quaisse.

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